On le sait, la pandémie a laissé des traces sur les humains que nous sommes. C’est vrai aussi au théâtre où plusieurs artisans ont remarqué des changements d’attitude chez les spectateurs. Pour le meilleur et parfois pour le pire.

« J’ai vu des gens cassés, bouleversés en sortant de la pièce… »

Sylvain Bélanger, directeur artistique du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, l’a remarqué. Les réactions du public étaient plus vives lorsque la pièce qu’il a mise en scène, Ceux qui se sont évaporés, est revenue à l’affiche après la pause de deux ans due à la pandémie.

« Dès la générale devant public, on s’est aperçu que les gens riaient davantage, que leurs réactions étaient moins timides. À la sortie de la pièce, j’ai aussi remarqué que les gens étaient très émotifs. Il y en avait qui sortaient en larmes… Les réactions étaient plus fortes qu’à la création, en 2020. »

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Le directeur artistique du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, Sylvain Bélanger

Même constat du côté du Théâtre de Quat’Sous : le public post-pandémique a semblé laisser sa timidité de côté lors de son retour en salle. Le masque y était peut-être pour quelque chose, avance Olivier Kemeid, directeur artistique et codirecteur général du théâtre de l’avenue des Pins Est.

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Olivier Kemeid, directeur artistique et codirecteur général du Théâtre de Quat’Sous

J’ai remarqué que le public était plus sonore, plus vocal. Comme si les gens avaient besoin de s’exprimer autrement que par un simple sourire.

Olivier Kemeid, directeur artistique et codirecteur général du Théâtre de Quat’Sous

Sur scène, les acteurs étaient bien placés pour sentir le pouls du public déconfiné. Eux aussi ont vite remarqué un changement chez le public, comme l’explique Vincent Graton, qui était de la distribution de Ceux qui se sont évaporés, tant pour les représentations de 2020 que de 2022 : « J’ai remarqué un très grand niveau d’écoute chez le public ; c’était fascinant. Et j’ai beaucoup entendu renifler d’émotion ! Le thème de la disparition faisait écho à ce qu’on a tous vécu pendant la pandémie. Je sentais la réaction physique des gens. »

« J’ai vraiment eu la perception que les gens étaient heureux d’être ensemble, de rire ensemble ; les rires étaient communicatifs », a remarqué de son côté Rebecca Vachon, qui jouait ce printemps au Rideau Vert dans la pièce Vania, Sonia, Macha et Spike. Elle était aussi de la distribution des Trois sœurs, qui a fait un retour au Théâtre du Nouveau Monde en février. « La pièce avait une résonance de plus, c’est comme si les réflexions existentielles des personnages sur le temps qui passe, sur l’isolement aussi, tout ça résonnait fort chez le public dont l’écoute active était très tangible. C’était bien particulier comme expérience. »

Mais tout n’est pas rose chez le public post-pandémique, qui semble avoir oublié certaines règles de base du savoir-vivre au théâtre, selon Vincent Graton. « J’ai constaté que plusieurs personnes ont développé un rapport presque amoureux avec leur téléphone pendant la pandémie ! Avant le début de la pièce, je devais me promener dans le public et je voyais que 50 % des gens étaient absorbés par leur téléphone. Pendant le spectacle, on a dû vivre avec plusieurs textos et appels qui rentraient. Trois téléphones qui sonnent lors d’une même représentation, c’est arrivé ! »

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Vincent Graton était de la distribution de la pièce Ceux qui se sont évaporés.

Entre enthousiasme et sens du sacré

Une observation semble unanime chez toutes les personnes interrogées : le public manifestait clairement sa joie de retrouver les arts de la scène lors de la réouverture définitive (souhaitons-le) des salles en février dernier.

« On sentait clairement l’enthousiasme des spectateurs, et ce, dès qu’ils arrivaient dans le hall, nous dit David Laurin, codirecteur artistique chez Duceppe. C’était supérieur à ce qu’on voyait avant. »

Cet enthousiasme perdurait au-delà même de la représentation, dit David Laurin. « On l’a vu aussi avec la conversation qui a suivi une représentation de la pièce Pétrole. Ça collait un peu plus que d’habitude. Il y avait plus de gens qui voulaient intervenir et j’aurais pu étirer la discussion au-delà des 15 ou 20 minutes habituelles. Les mains se levaient et personne ne quittait la salle, comme c’est souvent le cas. »

La bonne nouvelle, c’est que cette joie se traduit concrètement dans plusieurs cas par des abonnements aux différents théâtres de la métropole. Notamment chez Duceppe.

« Pour dire vrai, on prévoyait une baisse, lance David Laurin. On pensait que les gens attendraient avant de s’engager et achèteraient des billets à l’unité, mais absolument pas. En date du début de juin, on approche le 80 % des abonnements de l’an dernier, ce qui est excellent. »

Même son de cloche au TNM, où les abonnements pour la saison prochaine vont bon train. La direction avait envisagé deux scénarios – un optimiste et un pessimiste – avant la mise en vente des abonnements. Au début de juin, le TNM était en voie de dépasser le scénario optimiste, a fait savoir la direction.

Chose certaine, la fermeture répétée des salles a rappelé à plusieurs l’importance des arts vivants dans nos vies.

« On sentait une fébrilité d’être au théâtre qui a teinté la réception des spectacles, estime Olivier Kemeid. Comme si venir au théâtre prenait un sens majeur et devenait un geste très conscient que l’on fait. Il reste maintenant à savoir dans quel état sera le public en septembre, pour la rentrée. Une partie des spectateurs a besoin de lumière et une autre a soif de réflexion. C’est difficile de prévoir comment tout ça va se passer. »