En adaptant pour la scène le roman à succès de Virginie Despentes, la metteure en scène Angela Konrad signe un spectacle jubilatoire, corrosif et foisonnant, qui prouve à qui en doutait encore la force singulière de sa voix. Et qui clôt en feu d’artifice la saison théâtrale à Montréal.

Construite sur les cendres encore fumantes de la culture rock, la pièce raconte la descente infernale de Vernon Subutex, un ancien disquaire qui se retrouve à la rue après plusieurs mauvais coups du sort. Deuils répétés, crise financière des prêts à haut risque et dématérialisation de la musique l’ont forcé à fermer sa boutique, qui a longtemps été l’épicentre du rock à Paris.

Il ne lui reste plus que d’anciens camarades d’une époque révolue, mais à laquelle il s’accroche comme le naufragé qu’il est. Pour profiter d’un lit, d’un repas chaud, parfois d’une baise ou d’une ligne de coke, Vernon renouera avec l’un, puis avec l’autre. Mais les amis d’avant ont changé, et rarement en mieux…

Dans le rôle du disquaire déchu, David Boutin livre une performance colossale. Le cheveu sale, l’œil hagard, les dents pourries, il se présente à nous déjà usé, étiolé. Pendant trois heures, il erre dans un perpétuel état de survie. Seul un amour vif mais rapidement « assassiné » pour une femme trans (Violette Chauveau, tout en sensualité) ramènera un peu de lumière dans son regard.

PHOTO DANIEL HUOT, FOURNIE PAR L’USINE C

Dans le rôle du disquaire déchu, David Boutin livre une performance colossale.

Dans son errance, Vernon croisera la route d’une galerie de personnages tout aussi écorchés que lui, malgré le fric accumulé et l’embourgeoisement de certains.

Dans le rôle de Sylvie, une maîtresse aussi exigeante que capricieuse, Anne-Marie Cadieux vole la vedette. Avec son jeu très physique, ses crises de larmes et ses fous rires à glacer le sang, elle est sans conteste la plus survoltée de cette distribution de haut vol.

Dominique Quesnel incarne de son côté, et avec toute l’énergie débridée qu’on lui connaît, La Hyène, une femme capable de démolir les plus belles réputations en inondant de fiel les réseaux sociaux. Elle est aussi Olga, une sans-abri touchante qui pleure (avec nous) la mort de son chien. Paul Ahmarani en scénariste raté et Philippe Cousineau, en producteur incapable de supporter le succès d’autrui, puis en batteur de femmes peu repentant, offrent aussi de solides performances.

Projections bien dosées

Pour nous faire voyager d’un univers à l’autre, Angela Konrad a choisi de multiplier les projections vidéo (colossal travail d’Alexandre Desjardins) sur un grand mur blanc en fond de scène. C’est aussi sur ce mur qu’elle projettera par moments des extraits du roman de Virginie Despentes. Un procédé dont elle n’abusera pas, mais qui démontre à quel point la metteure en scène a décidé de rester au plus près du texte original. En adaptant le premier tome de ce triptyque, Angela Konrad a choisi de rester dans la vérité des personnages, en mettant en lumière toutes leurs contradictions sans jamais cesser de les aimer. Même les pires scélérats aux discours les plus choquants restent ici attachants, car ils demeurent profondément humains.

Et cette humanité se déploie sur une trame sonore hétéroclite, mais toujours à propos. Entre une chanson punk et un succès pop, entre Nina Hagen et Adele, la musique devient un personnage à part entière. C’est elle qui marque les différences entre les classes sociales, les idéologies et les états d’esprit de chacun.

C’est elle aussi qui nous accompagne longtemps après la fin de ce spectacle coup de poing, où l’on rit beaucoup, mais toujours avec une boule au ventre. Il reste à espérer que les huit représentations prévues à l’Usine C ne seront pas les seules occasions de voir cette pièce immense. On croise aussi les doigts pour que la trilogie en entier soit un jour présentée. Angela Konrad y travaille déjà. Et c’est une excellente nouvelle.

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Vernon Subutex 1

Vernon Subutex 1

D’après un texte de Virginie Despentes. Adaptation et mise en scène d’Angela Konrad. Avec David Boutin, Anne-Marie Cadieux, Dominique Quesnel et six autres interprètes.

À l’Usine C, Jusqu’au 22 juin

8/10