Elenit, ovni grotesque et déjanté de l’artiste grec Euripides Laskaridis, est une création pour public averti, prêt à plonger dans une proposition plus radicale et déstabilisante.

Décrire en détail le capharnaüm sur scène, les tonnes d’accessoires, de costumes et personnages qui y sont conviés tient sans doute de la mission impossible. C’est qu’Elenit nous plonge dans un univers chaotique aux confins du ridicule, tellement absurde qu’il provoque le rire, sublime dans sa folie. Une dystopie fantaisiste, excentrique et grotesque… Quand David Lynch rencontre la commedia dell’arte, ou quelque chose du genre.

Dramaturge, chorégraphe et performeur, Euripides Laskaridis avait déjà montré au FTA de quel bois il se chauffe, en 2018, avec sa création Titans, cette fable cosmique où il interprétait un personnage au large front et au ventre rebondi évoluant dans un univers fantasmagorique. On avait pu découvrir la propension du créateur grec pour le travestissement, voire la transfiguration de sa personne, et aussi pour le DIY (« do it yourself ») et le bricolage, avec la manipulation souvent ingénieuse d’objets très éclectiques détournés de leurs fonctions.

PHOTO JULIAN MOMMERT, FOURNIE PAR LE FTA

Elenit prend la forme d’une grande farce burlesque.

Farce burlesque

Elenit se présente comme une grande farce burlesque, ce genre théâtral qui a pour but de faire rire, souvent grossièrement. Pantomime, prothèses exubérantes, masques hyperréalistes en silicone, action déjantée, mimiques outrées… Tout y passe !

Laskaridis interprète le personnage central, espèce de diva aux airs de Marie-Antoinette au long nez de sorcière, enveloppée dans une robe rose poudré aux jupes volumineuses et dotée d’une perruque blonde extravagante, s’étouffant dans la fumée de sa pipe.

Livre à la main, le personnage récite un charabia inventé, réverbéré par un micro. Un babillage dont on comprend grosso modo la teneur, ou du moins l’intention, grâce aux intonations appuyées, souvent exagérées, que reprendront, chacun dans leur registre, la multitude d’autres personnages.

Seule phrase décodable, lancée dans plusieurs langues, dont le français : « C’est quoi, ton problème ! » Justement, c’est quoi, leur problème, à ces personnages complètement fous braques ? Voilà un mystère qui sera peu ou prou résolu.

Sur scène, interagissent sous l’ombre d’une grande éolienne des protagonistes aux identités évolutives, parfois interchangeables : un homme chauve en complet et ses doubles, un DJ-dieu sur son piédestal qui se déplace en skate (et qui perdra éventuellement sa tête), un dinosaure queer aux formes voluptueuses qui chante l’opéra, une bonne hystérique à moustache, un boucher au tablier maculé de sang qui promène des membres dans un panier, et une petite vieille rabougrie armée d’un fusil qui naîtra des jupes de Laskaridis… Sans oublier une jeune fille atteinte de narcolepsie, dont l’accoutrement rappelle Dorothée du Magicien d’Oz, et un accessoiriste tout de noir vêtu, qui manie éclairage, micro et autres éléments scéniques divers, dont une fontaine-four-téléphone !

Le personnage qu’a créé Laskaridis est à la fois au centre de ce monde pas tout à fait terrestre, qui ne semble connaître ni passé ni avenir, et observateur de sa désintégration, de son implosion. Le spectateur, lui, assiste, sans doute un brin éberlué et interdit, à cette grande satire où les invectives fusent et où les drames se succèdent à un rythme affolant.

Ces créatures à la fois cocasses et monstrueuses finiront par orchestrer leur révolte contre l’aristocrate, qui trépassera encore et encore avec emphase, cherchant le ton juste et l’approbation du public dans sa façon d’acter l’agonie.

PHOTO JULIAN MOMMERT FOURNIE PAR LE FTA

Le titre fait référence aux tôles ondulées.

Le titre de la création est inspiré de tôles ondulées, appelées Eternit ou « elenit », un matériau autrefois répandu en Grèce, mais dangereux, car constitué d’un alliage de ciment et d’amiante. Motif récurrent de la création, ces tôles sont notamment conviées dans un tableau réussi, teinté d’onirisme, alors que les panneaux forment une structure autour de laquelle les personnages exécutent une étrange danse, leurs silhouettes à contre-jour disparaissant et réapparaissant dans une ronde sans fin.

Elenit est un cabaret où sont conviés cirque, danse, théâtre, magie. Laskaridis s’amuse à créer et défaire l’illusion théâtrale tout à la fois. Il use d’effets d’optique, de jeux de lumière et de travestissements pour mieux ensuite en révéler les ficelles et montrer l’envers du décor. Ce faisant, il semble nous dire, au bout du compte, que la vie n’est qu’une grande comédie ; à chacun d’y jouer le rôle qu’il entend, avant que tout foute le camp.

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Elenit

Elenit

par Euripides Laskaridis

Au Théâtre Jena-Duceppe, Jusqu’au 4 juin

7/10