Une petite révolution agite le milieu théâtral ce printemps. Jeunes et moins jeunes veulent faire bouger les choses. L’auteur, comédien et metteur en scène Mathieu Quesnel fait partie du groupe.

Le 5 mai dernier, une vingtaine de jeunes artistes ont protesté avec éclat lors de la première de la création de Michel Tremblay, Cher Tchekhov, au TNM. Quelques jours plus tard, le Conseil québécois du théâtre (CQT) a diffusé une lettre ouverte qui critique l’état des lieux dans le cadre de sa Table de concertation de la relève. Le CQT plaide pour une réforme du milieu, afin d’améliorer les conditions de création pour les artistes de la relève fragilisés après deux ans de pandémie.

Puis, la semaine dernière sur Facebook, Mathieu Quesnel a lancé un appel à ses camarades pour créer un nouveau lieu théâtral « festif, rebelle et ouvert à tous les possibles ». Une « grosse coopérative de diffusion » sans programmation établie des mois à l’avance, sans compagnie en résidence, et qui roulerait jour et nuit. Le comédien de SNL Québec a déjà un nom : le Théâtre Pirate.

Des vedettes intéressées

Une cinquantaine d’interprètes et d’artistes de la scène ont aussitôt répondu favorablement. Certains lui offrant de contribuer financièrement. Parmi eux, Eve Landry, Debbie Lynch-White, Pascale Montpetit, David-Alexandre Després, Steve Gagnon, Renaud Paradis, Marie-Ève Perron…

Il y a même des directeurs artistiques comme David Laurin (Duceppe), Philippe Lambert (La Licorne) et Marcelle Dubois (Aux Écuries) qui lui ont écrit pour l’encourager. « Je ne crois pas que ce nouveau lieu va venir court-circuiter les autres compagnies et leur mandat, dit-il. Au contraire, Le Pirate va enrichir, compléter et stimuler l’écosystème théâtral montréalais. »

À quoi ressemblerait Le Pirate ?

« Je pense à un endroit comme le Bordel, en humour ; ou le Quai des Brumes pour les musiciens. »

J’imagine un repaire du milieu, à la fois laboratoire et tremplin, pour permettre à des acteurs de jouer une petite scène ou une courte pièce, à des auteurs de faire des lectures, des metteurs en scène de tester de nouvelles formes artistiques…

Mathieu Quesnel

Un théâtre sans programmation ni direction artistique, est-ce viable à long terme ?

« Est-ce que je rêve en couleurs ? Peut-être. Mais je ne suis pas le seul. La réalité de pigistes fait que les créateurs et interprètes ont souvent des périodes de trois, quatre mois et plus sans contrat. Au lieu d’attendre chez soi à chômer, Le Pirate serait un lieu idéal pour essayer ou lancer de nouveaux projets. Pour la relève, bien sûr, mais pas uniquement. Je vois par exemple Yves Jacques venir jammer au Pirate, comme à l’époque où il avait son groupe de musique ! »

Toutes les générations

À ses yeux, la mission du Théâtre Pirate devra être inclusive et basée sur la transmission entre les générations. « Il y a des artistes talentueux de 50 et 60 ans qu’on ne voit pas sur nos scènes parce qu’on les a oubliés. Le Pirate va leur ouvrir ses portes », précise Quesnel.

Les artistes pourront investir 500 ou 1000 $ et devenir copropriétaires. Quesnel veut ouvrir une page Go Fund Me bientôt.

Je regarde avec des amis des commerces à vendre à Montréal. Je suis intrigué par la Caserne 14, rue Saint-Dominique, près de Rachel. Elle semble abandonnée… Je me donne l’été pour rencontrer des artistes intéressés par le projet. Et trouver un lieu à l’image de ce rêve commun.

Mathieu Quesnel

Dans sa vision du Pirate, il y a l’idée de revenir à la création collective des années 1970. Comme à l’époque du Grand Cirque Ordinaire ou des cafés-théâtres. Une époque qu’il a connue à travers le récit de ses beaux-parents, Louise Cuerrier et Daniel Simard, tous les deux disparus en 2016. « J’ai aussi perdu récemment un ami avec qui j’ai étudié au Conservatoire, Nicolas Chabot. Il est mort d’un cancer à 41 ans. Ça m’a fait réfléchir… ».

« À l’époque, on se faisait de petites scènes, Chabot et moi, poursuit-il. On rêvait d’un lieu clandestin, underground, pour pratiquer notre métier librement. Sans contraintes. Comme des pirates ! Puis j’ai commencé à travailler, j’ai eu une famille, des enfants. Quand j’ai vu poindre le mouvement de contestation de jeunes artistes de théâtre, je me suis rappelé mes années au Conservatoire. Je me suis dit, ce vieux rêve, c’est le temps de le réaliser. »