La belle et longue amitié entre l’écrivaine Fanny Britt et la metteure en scène Alexia Bürger est au cœur de Toutes choses, leur premier projet commun qui se concrétise au théâtre. Le résultat donne un spectacle aussi attachant que la relation qui unit les deux talentueuses artistes.

C’est un petit bijou de spectacle que proposent Fanny Britt et Alexia Bürger au Quat’Sous ces jours-ci. Une pièce sur la force de l’amitié, que les deux femmes ont su préserver avec les années ; malgré le doute et les épreuves de la vie. Mais aussi une pièce sur la pureté de l’enfance, un état qu’on devrait cultiver peu importe notre âge. Les créatrices ont d’ailleurs eu l’idée de Toutes choses pour surmonter une peine d’amour professionnelle : leur pièce au TNM, Lysis, a été annulée à cause de la COVID-19.

Leur point de départ, outre leur amitié, est le film Stand by Me, de Rob Reiner, qu’elles ont vu à l’adolescence. D’après une nouvelle de Stephen King, ce film suit le périple en forêt de quatre garçons de 12 ans, partis à la recherche d’un cadavre. Ce récit initiatique reste à ce jour une fable émouvante sur les liens amicaux à l’enfance et le passage forcé à l’âge adulte. La performance inoubliable de River Phoenix et de Wil Wheaton, que le texte souligne avec justesse, y est pour beaucoup.

Dans Toutes choses, les protagonistes, nommées la Rousse et la Brune, jouent des extraits du film, en prenant le fort accent français de la version doublée. Celle que les deux filles ont vue au cinéma du complexe 2020 Université… ou était-ce plutôt en vidéo Beta à la maison ? Leurs souvenirs ne concordent pas ici. Comme bien d’autres choses dans cette relation amicale très solide, mais pas simple : les deux amies sont a priori très différentes.

PHOTO YANICK MACDONALD, FOURNIE PAR LE QUAT’SOUS

Kathleen Fortin est bouleversante, puissante, et Sophie Cadieux est incandescente dans la pièce Toutes choses.

Deux actrices aux antipodes

Les créatrices ont d’ailleurs confié les personnages à deux actrices aux antipodes. Kathleen Fortin (merveilleuse et bouleversante comédienne qu’on ne se lasse jamais de voir au théâtre) joue Fanny la Rousse ; l’éternelle inquiète, l’anxieuse, celle qui est enracinée dans sa logique. Sophie Cadieux (incandescente, malgré sa nervosité le soir de première) incarne Alexia la Brune ; celle qui est plus ténébreuse, vulnérable, et qui peut toujours compter sur son amie pour passer à travers ses zones de turbulences.

La mise en scène d’Alexia Bürger prend le parti pris d’une théâtralité assumée. La majorité de la pièce est jouée à l’avant-scène devant un lourd rideau rouge, où l’on projette parfois des images du film, sous des éclairages chatoyants. Dès lors, on s’éloigne de l’autofiction pour se rapprocher d’une proposition théâtrale, qui prend des risques artistiques.

Le jeu est souvent comique et savoureux. Parfois, les deux amies se disputent pour un oui, pour un non. Mais elles passent par-dessus leur mauvaise foi pour se réconcilier après coup. C’est aussi ça, le sel des amitiés sincères.

Il y a aussi quelques monologues dramatiques, qui abordent des sujets plus sombres, comme la santé mentale, la dépression. Hélas, ces ruptures de ton avec le reste de la production sont moins réussies.

Les amitiés sincères

« Parce que c’était lui ; parce que c’était moi », le directeur du Quat’Sous, Olivier Kemeid, reprend dans son mot au programme la célèbre formule de Montaigne pour évoquer l’amitié fusionnelle de l’écrivain moraliste avec La Boétie, il y a cinq siècles. « Parce que c’était elle ; parce que c’était moi », pourraient répéter Fanny Britt et Alexia Bürger. Parce que leur amitié illustre à merveille la puissance de ces liens plus forts que tout. Même de l’absurdité du monde.

Toutes choses

Toutes choses

Texte : Fanny Britt
Mise en scène : Alexia Bürger
Avec Sophie Cadieux et Kathleen Fortin

Au Théâtre de Quat’Sous, Jusqu’au 14 mai

8/10

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