Après s’être fait tirer le tapis sous les pieds par les autorités sanitaires en mars 2020 – et ce, après une seule représentation crève-cœur –, la pièce Mademoiselle Julie prend enfin son envol sur les planches du Rideau Vert. Toutefois, cette production adaptée et dirigée par Serge Denoncourt s’avère à moitié réussie.

De fait, ce grand classique signé par le Suédois August Strindberg semble avoir été scindé en deux par on ne sait quel sortilège. La première partie est superbement maîtrisée, pleine de délicatesse et de silences lourds de sens. On y fait la rencontre, un soir de la Saint-Jean, de mademoiselle Julie, une jeune aristocrate interprétée par Magalie Lépine-Blondeau. Cette jeune femme rejetée par son fiancé 15 jours plus tôt a choisi de passer ce soir de fête avec les domestiques plutôt qu’avec ceux de son rang. Elle veut s’étourdir, assommer son chagrin, oublier le carcan social qui l’étouffe.

Or, la frontière qui sépare les classes sociales est très souvent minée. Mademoiselle Julie s’en doute, mais qu’importe. Le cerveau grisé par la bière, elle va se lancer dans un dangereux jeu de séduction avec Jean (David Boutin), domestique charismatique et ambitieux. Une danse cruelle, où alternent désir et mépris, va se dérouler sous les yeux même de la fiancée de ce dernier, la loyale Kristin interprétée avec justesse par Kim Despatis.

On sent le trouble s’installer entre les deux protagonistes. Les regards furtifs deviennent de plus en plus appuyés. On devine que la nuit sera chaude… et tragique.

Seulement, une fois que l’irréparable est commis et que le vin a cessé de couler, l’interprétation semble s’emballer.

Quand l’esprit de la jeune femme commence à se fissurer, que la colère gronde trop fort ou que le désespoir l’envahit, l’interprétation de Magalie Lépine-Blondeau explose au point de susciter l’agacement (ou pire, les rires) plutôt que l’empathie. Tous ces cris, ces larmes, ces rires sonores… Ces vannes trop ouvertes éclipsent la détresse de mademoiselle Julie, la veulerie de Jean (qui regarde sa maîtresse s’enfoncer sans broncher), l’emprisonnement à perpétuité des personnages dans la petite case où la vie les a placés. Le texte de Strindberg dissèque avec génie la lutte des classes et le combat des sexes. On finit presque par l’oublier ici.

Bref, l’émotion du public aurait été mieux servie par un peu plus de nuances, plus de rage contenue, voire plus d’intériorité.

PHOTO FRANÇOIS DELAGRAVE, FOURNIE PAR LE RIDEAU VERT

La scénographie de Mademoiselle Julie renvoie une douce image, bien opposée au drame qui va se jouer sur les planches.

Un mot en terminant sur la magnifique scénographie, qui sert d’écrin aux personnages. Les décors de Guillaume Lord et la conception d’éclairage de Julie Basse méritent qu’on s’y attarde. Au lever du rideau, on découvre une cuisine plongée dans la lumière, véritable oasis de tranquillité où rien ne peut arriver. C’est pourtant entre ces murs blancs qu’une bombe va exploser et que la digue qui retient les émotions en place va sauter. Pour le meilleur et pour le pire.

Mademoiselle Julie
Adaptation et mise en scène de Serge Denoncourt
Avec Magalie Lépine-Blondeau, David Boutin et Kim Despatis
Au Théâtre du Rideau Vert, jusqu’au 16 avril

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