La poétesse de la Grèce antique Sappho, chantre de l’amour entre femmes, est au cœur d’une production pleine de bienveillance – mais non dénuée de maladresses – présentée ces jours-ci au Théâtre de Quat’Sous.

C’est grâce à un livre trouvé par hasard dans une librairie féministe que la dramaturge (et metteuse en scène de ce spectacle) Marie-Ève Milot a découvert l’existence de la poétesse révolutionnaire Sappho, née 700 ans avant Jésus-Christ. La question s’est tout de suite posée chez elle : comment expliquer qu’on ne lui ait jamais enseigné l’existence de cette femme aussi célèbre à une certaine époque que Homère ?

Pour tirer de l’oubli cette poétesse hors norme, Marie-Ève Milot et sa complice de toujours, Marie-Claude St-Laurent, ont décidé de lui consacrer leur nouveau spectacle. Injustement traitée par l’histoire, méprisée par les pouvoirs religieux des siècles après sa mort en raison de ses écrits jugés impurs, Sappho est à l’origine même du mot « saphisme », tandis que le terme « lesbienne » découle du nom de l’île grecque où elle est née, Lesbos.

« Lesbienne ! » C’est d’ailleurs avec ce mot tout court, mais si chargé de sens et, dans certaines sociétés, encore si lourd à porter, que s’ouvre ce spectacle ; un mot lancé avec conviction par Denise, ancienne tenancière de bars clandestins for ladies only interprétée de façon quasi mystique par Muriel Dutil.

PHOTO YANICK MACDONALD, FOURNIE PAR LE QUAT’SOUS

Muriel Dutil interprète Denise dans Sappho.

Dans un appartement décrépi du Centre-Sud, qui rappelle les gynécées des maisons grecques avec ses coussins et ses estrades où s’allonger, Denise accueille à bras ouverts depuis des années ses Muses. Ces femmes qui ont besoin de se poser, voire de se réparer, trouvent entre ces murs une communauté tissée serré où l’amour au féminin est célébré.

Il faut dire que Denise voue un véritable culte à la poétesse Sappho. Comme cette dernière, Denise apprend aux femmes autour d’elle la beauté salvatrice de la poésie et de l’art, notamment par l’entremise de magnifiques et délicates rétroprojections signées Alix Mouysset.

Il y a Sacha, l’intempestive amoureuse au franc-parler (Nathalie Claude, effervescente à souhait), Ariane au cœur brisé (Florence Blain Mbaye), la fragile Joris qui peine à s’affirmer (Alix Mouysset) et Chloé, la fille de Denise (Katia Lévesque, très sensuelle), qui a toujours entretenu des rapports tendus avec sa mère.

Ensemble, ces cinq femmes vont explorer le pouvoir de la philia, ce sentiment à la frontière de l’amour et de l’amitié, en particulier lorsque ces derniers se conjuguent au féminin pluriel. Malgré leurs différences, les Muses vont se serrer les coudes et prendre soin les unes des autres, avec une bienveillance qui rassurera même le plus aigri des spectateurs.

Car oui, le propos du spectacle fait du bien en cette période sombre où guerre, pandémie et crise climatique ne font qu’accentuer le repli sur soi. Malheureusement, l’émotion est trop souvent tenue à l’écart en raison de la forme parfois très didactique de la pièce qui alourdit l’ensemble. Les informations concernant la vie de la poétesse sont mitraillées comme dans un cours magistral accéléré : les répliques crues de Denise se mélangent sans distinction avec une flopée de noms grecs et de dates qu’on peine à assimiler. Comme si les autrices n’avaient pas su démêler l’essentiel du superflu.

Le cœur et l’âme du public sont mieux servis par les touches d’humour qui émaillent parfois le texte, notamment lors d’une scène d’appel érotique offert par Denise qui s’avère particulièrement… jouissive !

On sentait aussi les interprètes très nerveuses mercredi, soir de première. Trous de mémoire, répliques qui se chevauchaient ou qui étaient mâchouillées au point d’en être incompréhensibles… Mais la philia a fait son œuvre, et les cinq comédiennes se sont soutenues dans l’adversité, pour se tomber dans les bras dans un bel élan d’affection à la fin de la représentation.

Peut-être la scène la plus poignante de ce spectacle au thème fort, mais qui n’a pas su nous bouleverser.

Consultez le site du Théâtre de Quat’Sous
Sappho

Sappho

De Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent, dans une mise en scène de Marie-Ève Milot.

Avec Muriel Dutil, Nathalie Claude, Katia Lévesque, Florence Blain Mbaye et Alix Mouysset.

Au Théâtre de Quat’Sous, jusqu’au 2 avril.

5/10