Louise Portal incarnera une grand-mère innue, une kukum, sur les planches de la salle Pierrette-Gaudreault, à Jonquière, dans la pièce Mashinikan, écrite et mise en scène par Marco Collin. Connu du grand public pour ses nombreux rôles à la télévision, dont Bill Wabo dans Les Pays d’en haut, l’acteur innu a décidé d’offrir tous les rôles autochtones à des allochtones et vice versa.

« Je me demandais si je pouvais mettre les Blancs dans mes souliers pour qu’ils essaient de comprendre qui je suis, puisque les autochtones connaissent souvent plus la culture québécoise que l’inverse », dit M. Collin. Depuis le début des répétitions, l’expérience porte ses fruits. « On échange sur des thématiques et sur nos façons de penser qui ne sont pas les mêmes. C’est intéressant de voir les craintes des acteurs qui se demandent s’ils jouent bien leurs personnages. »

Louise Portal semble avide de découvertes. « En tant qu’interprète, on pénètre dans un univers dont on ne nous a rien dit, explique-t-elle. Quand j’étais petite, on allait à la réserve de Pointe-Bleue, soit Mashteuiatsh, mais on connaissait très peu leur culture. »

À l’été 2021, j’ai participé à une immersion. C’était tellement enrichissant de découvrir l’univers autochtone et leurs réalités.

Louise Portal

Plus elle consacrait du temps à apprendre son texte, dont certains passages en innu, plus cette langue l’habitait. « Chaque fois que j’arrive en répétition, je dis à Marco : “C’est pas drôle, je rêve à des passages en innu !” C’est une langue magnifique, mais c’est un énorme défi à apprendre. Heureusement que Marco est très souple. Quand j’avais trop de soucis à ce sujet, il a allégé les portions en innu. »

La production lui a fourni des enregistrements pour qu’elle apprenne les mots de manière phonétique. Elle a suivi des cours d’innu avec Monique Verreault, de Mashteuiatsh. Mais elle a douté de sa réussite. « À un moment donné, je disais à Marco que je n’allais pas y arriver, parce que c’était trop difficile. Même pour les Innus qui n’ont pas appris leur langue maternelle, c’est très ardu. Pour apprendre mon texte, j’ai dû me faire des images dans ma tête. » À noter que les quelques passages en innu seront traduits pour le public.

Réplique à l’affaire Kanata ?

Si les productions de SLĀV et de Kanata ont fait couler beaucoup d’encre au sujet de l’appropriation culturelle à l’été 2018, Marco Collin assure que son projet n’est en rien une réplique aux scandales. « Moi, j’étais là, souligne-t-il. J’ai rencontré Robert Lepage et Ariane Mnouchkine. Plein de choses ont été dites là-dessus. Il y avait plein d’autochtones fâchés. Je me disais qu’ils n’étaient pas à la même réunion que nous… »

Cela dit, il est tout à fait conscient du contexte ayant généré des réactions si vives.

Je peux comprendre le désir de vouloir s’exprimer de ceux qui n’ont pas eu souvent la parole. À plusieurs reprises, j’ai été moi-même prisonnier des mots qu’on me mettait dans la bouche et de la couleur de personnage qu’on me donnait.

Marco Collin, auteur et metteur en scène

Louise Portal s’est elle aussi questionnée sur sa légitimité à interpréter une grand-mère innue. « Quand j’ai lu le texte de Marco, j’ai tout de suite senti que j’avais l’humanité pour incarner Kukum, mais je me suis demandé si on allait s’attirer la colère des gens. Marco m’a dit que c’était son choix de metteur en scène et d’auteur, et c’est un gars de Mashteuiatsh. »

Si le roman Kukum, de Michel Jean, est un spectaculaire succès populaire et critique depuis 2019, de plus en plus d’artistes autochtones rejoignent le grand public. « Il y a une effervescence sur le plan des arts, affirme Marco Collin. Tout porte à nous rencontrer. En 1990, le groupe Kashtin était sur une lancée, mais tout a reculé après la crise d’Oka. Aujourd’hui, on sent une curiosité des allochtones à découvrir une culture qu’ils ne connaissent pas. »

Retour aux sources

En acceptant de jouer avec le Théâtre la Rubrique, Louise Portal vit un véritable retour aux sources. En effet, depuis le début des répétitions, elle foule les planches dans la salle où elle a découvert le théâtre en 1967. Elle avait alors joué les mots de Jean-Pierre Bergeron aux côtés de Rémy Girard, de Marie Tifo et de Han Masson, sous la direction de Ghislain Tremblay.

« Revenir à 71 ans dans le théâtre où j’ai joué à 17 ans, c’est formidable ! Je pense que Kukum vient s’inscrire dans mon parcours de destinée. Dans le livre L’enchantée, que j’ai publié en 2001, c’était plein de références à la culture autochtone. Ça avait monté dans mon écriture. C’était donc déjà en moi, ce désir de plonger dans l’univers autochtone. C’est un appel. »

La pièce sera présentée du 2 au 19 mars prochains à la salle Pierrette-Gaudreault, à Jonquière.