Alep. Portrait d’une absence est l’une des rares propositions théâtrales venues de l’étranger qu’on peut voir au Festival TransAmériques (FTA). Il s’agit d’un projet conçu par Mohammad Al Attar et Omar Abusaada, avec la collaboration de la scénographe Bissane Al Charif. Trois artistes syriens exilés en Europe qui mettent leur talent au profit de la cause de leur pays ravagé par 10 ans de guerre civile. Et en regroupant des histoires de cette ville, jadis le poumon économique de la Syrie, aujourd’hui à moitié dévastée, et qui peine toujours à se reconstruire.

Pour leur projet, les créateurs ont recueilli 10 témoignages qu’ils font entendre à 10 spectateurs différents. Chacun a donc un témoignage unique durant la représentation. En arrivant, on nous indique une grosse carte en bois de la ville affichée dans le hall. On doit choisir un morceau représentant un coin de rue d’Alep. Puis, on nous invite à entrer dans la salle où un dispositif de chaises et de tables est installé. On trouve notre table en encastrant notre pièce du puzzle dans une autre carte. Une fois qu’on est installé, 10 comédiens s’assoient devant un spectateur. L’acteur assis devant nous commence alors son récit.

PHOTO PIERRE-YVES MASSOT, FOURNIE PAR LE FTA

Reconstruire la ville

Nous avons eu droit au témoignage d’Hakam Chahar, un Syrien de 30 ans exilé, qui étudie en urbanisme à l’Université de Budapest. D’une voix douce et posée, il se souvient de son enfance dans le Vieil-Alep, de la beauté de la ville millénaire, de l’arrivée des Frères musulmans, des changements dans les mœurs du quartier lorsque sa sœur sortait dans la rue… sans son voile. Puis, il raconte les bombardements, les traces de balles sur le minaret de la mosquée dans la rue où il habitait avec sa famille.

On l’écoute très concentré durant une vingtaine de minutes, en fixant l’interprète dans les yeux derrière le plexiglas, comme si on écoutait les confidences d’un bon ami à la table d’un café. On retient le ton digne de Hakam. Son refus du pathos, malgré les horreurs de la guerre, la souffrance de ses proches, l’arrachement de son exil. Or, le jeune homme veut préserver la mémoire du lieu. On le sent attaché à l’architecture d’Alep, à ses édifices historiques

Il ne parle pas de Bachar al-Assad ni de l’islamisme, pas plus que de la Turquie ou de la Russie. Il évoque plutôt un projet pour l’avenir d’Alep, celui d’aider à la reconstruction de la ville défigurée. Il souhaite remettre de la beauté sur les cicatrices de la cité et redonner de la fierté aux Alépins.

Mais il craint le retour, d’aller en prison, d’être freiné dans son élan, de ne pas retrouver les siens. Plus de 5 millions de Syriens sont exilés, environ 13 millions sont déplacés dans ce pays où 80 % des habitants vivent toujours sous le seuil de pauvreté.

À la fin, chaque spectateur peut laisser un message à l’auteur du témoignage sur un enregistreur, message qu’on traduira en arabe avant de le remettre. Celui qu’on laisse à Hakam est un gros merci pour le partage et le refus d’oublier. Et aussi un souhait, celui du poète Raymond Lévesque : quand les hommes vivront d’amour, il n’y aura plus de guerre ni de misère…

Alep. Portrait d’une absence est présenté à guichets fermés jusqu’au 12 juin à l’Édifice Wilder. Toutefois, on libère « assez souvent » des billets. On peut vérifier sur le site web du FTA.