Première compagnie de théâtre autochtone francophone du pays, Ondinnok célèbre ses 35 ans d’existence avec de nombreuses activités à venir. Présentation d’une compagnie qui n’a pas fini de croître.

Fondée par Yves Sioui Durand et Catherine Joncas, Ondinnok est née avec le Festival TransAmériques, en 1985. C’est sur un terrain vague du centre-ville que la compagnie a présenté, lors de la toute première édition du FTA, sa pièce Porteur des peines du monde. Le public a été conquis, la critique aussi.

Yves Sioui Durand raconte : « Nous arrivions sur scène, là où se dresse l’ONF aujourd’hui, au moment où le soleil se couchait. Or, dans la mythologie autochtone, le soleil porte sur ses épaules la conscience du monde. C’est un portageur, un symbole d’autonomie. Il porte aussi un message d’espoir sur la possibilité de renaître. »

Le concept de renaissance est au cœur même du nom de la compagnie.

“Ondinnok” est un vieux mot de langue iroquoïenne qui signifie “se rêver à nouveau, être soi-même”. Ce mot nous a choisis, pas l’inverse !

Yves Sioui Durand

Plus qu’un spectacle, Porteur des peines du monde était « un rituel de conjuration, pour passer au travers des souffrances de l’histoire qui ont marqué la réalité autochtone et les maux de la dépossession », ajoute Yves Sioui Durand. « Nous sommes arrivés avec une théâtralité non occidentale jusqu’alors inconnue dans le théâtre québécois. C’était une façon de dire : “Oui, on existe, oui, on a une culture qui nous est propre et oui, notre art est universel.” Il ne faut pas oublier que toutes nos célébrations étaient interdites jusqu’en 1947 au Canada… »

PHOTO FOURNIE PAR ONDINNOK

La pièce Porteur des peines du monde a été présentée en 1985, lors du tout premier Festival TransAmériques.

Pour l’écrivain et dramaturge, membre de la nation huronne-wendat, la pièce portait de plus une signification toute personnelle. « Il y avait une idée de la transformation. Et c’est ce que je vivais. Je suis né en 1951, dans une acculturation immense. Mon identité wendat avait été démantelée par la conversion et les épidémies. Il y avait une désorientation dont je vivais encore les conséquences. Une blessure internalisée, une souffrance d’être déraciné. »

Une graine qui porte ses fruits

Avec la présentation de Porteur des peines du monde, une graine est plantée. Littéralement. « Pour ce rituel, Yves avait dessiné par terre une route de grains. Quelques semaines plus tard, nous sommes repassés au centre-ville : des épis de maïs avaient poussé dans cette terre ingrate, si bouleversée », se souvient Catherine Joncas.

L’image est révélatrice. Le terreau bouleversé de la réalité autochtone a été celui qu’ils ont choisi de cultiver, notamment avec le théâtre de la guérison, qui a mobilisé leur énergie au milieu des années 1990. Ils ont notamment travaillé auprès de la communauté atikamekw de Manawan pour créer des œuvres inspirées du vécu des participants.

Mais leur parcours est beaucoup plus large et diversifié. « On a fait plus de 30 créations en 35 ans », dit Catherine Joncas. Un exploit dont peu de compagnies au Québec peuvent se vanter.

Or, l’ADN de la compagnie est gravé à même l’écorce de chaque nouvelle création, selon Yves Sioui Durand. « Notre ADN, c’est la mythologie autochtone au sens large, celle issue des peuples autochtones des trois Amériques. » En 1991, Ondinnok a d’ailleurs présenté la pièce La conquête de Mexico, mise en scène par nul autre que Jean-Pierre Ronfard.

PHOTO FOURNIE PAR ONDINNOK

La conquête de Mexico a été une des productions phares de la compagnie.

« C’est un théâtre ancré dans la vérité intérieure de chacun, poursuit le dramaturge. Tout doit partir de soi. C’est pour ça que c’est douloureux. Chaque comédien autochtone doit repasser par les moments qu’il a vécus. Il y a une décolonisation qui s’opère dans chaque comédien. C’est épeurant. Ça ébranle nos certitudes. Mais comme spectateur, on voit un humain qui est en train de se transformer en direct. »

« Le théâtre autochtone est fait par des artistes qui voudraient être plus autochtones encore ! » Une approche a contrario des pow-wow organisés chaque année par les diverses nations du Québec, dit-il. « Les pow-wow laissent croire que rien n’a changé, que tout est pareil, mais ils font oublier que sous l’habillement se cachent des souffrances. »

Des samares pour l’avenir

Pour Catherine Joncas et Yves Durand Sioui, qui forment un couple depuis 50 ans, l’heure est à la transmission. Ils ont passé le flambeau de la direction artistique à Dave Jenniss en 2017, mais restent impliqués comme mentors. Et ils continuent d’espérer le meilleur pour leur compagnie.

Un de mes grands regrets est de n’avoir jamais eu un lieu de création à Montréal. C’est nécessaire. Pourquoi n’y aurait-il pas une maison de la culture pour les autochtones, qui permettrait l’avancement de leur art ?

Catherine Joncas

Pour ce couple métissé, la rencontre entre les cultures est essentielle à la cohabitation. « Sans cette rencontre entre une Québécoise et un autochtone, Ondinnok n’aurait jamais existé. Les autochtones n’existeront pas si le Québec ne leur fait pas de place, s’il n’y a pas de véritables rencontres… », estime Yves Sioui Durand.

Le comédien et dramaturge d’origine malécite Dave Jenniss ajoute : « Ondinnok m’a appris à être fier d’être autochtone et à ne pas me cacher. C’est pour cette raison que j’ai un grand désir d’apporter le théâtre à nos enfants et nos adolescents. Je veux créer un intérêt pour nos propres histoires… Je veux qu’ils soient fiers de les raconter. »

Des activités à venir pour Ondinnok

• Ondinnok sera l’hôte de la cérémonie d’ouverture du 15Festival TransAmériques, le 26 mai à 16 h, avec Sur les traces du porteur.

• La pièce L’enclos de Wabush, du dramaturge Louis-Karl Picard-Sioui, sera offerte en webdiffusion à compter du 4 juin.

Consultez le site d’Espace Libre

• La pièce La cendre de ses os devrait être reprise à l’automne à La Licorne.

• Ondinnok a aussi présenté l’évènement Mewassine au début de mai, avec des activités et tables rondes. En ligne bientôt.

Consultez le site d’Ondinook