« Si tu n’entends pas le vacarme que fait mon silence, tu n’es pas un vrai écrivain. »

Ainsi parle Madeleine à son fils Claude, dans Le vrai monde ?, pièce de Michel Tremblay reprise en ce moment au Théâtre du Rideau Vert dans une mise en scène d’Henri Chassé. La réplique est emblématique de ce texte puissant, présenté pour la première fois il y a quelque 35 ans : les silences, les non-dits et les vérités qu’on éclipse derrière des blagues salaces y font un vacarme assourdissant.

Claude, jeune écrivain en devenir interprété par Charles-Alexandre Dubé, a décidé de faire éclater ce silence en écrivant une pièce de théâtre où il met en scène sa famille qu’il juge dysfonctionnelle. Alex, le père commis-voyageur qui se cache derrière son humour douteux (rôle qui semble taillé sur mesure pour Michel Charette). La mère, Madeleine (superbe Isabelle Drainville, toute en rage contenue), qui préfère fermer les yeux sur les mensonges de son mari. Et sa sœur Mariette (Charli Arcouette), qui s’entête à regarder vers l’avant plutôt que d’affronter le passé.

Au contraire de cette famille faite de chair et d’os, les membres du clan fantasmé par Claude osent dire ce que les premiers veulent taire. L’heure des comptes a sonné pour la Madeleine faite d’encre et de papier (campée avec beaucoup de dignité par Madeleine Péloquin) et sa fille (très touchante Catherine-Audrey Lachapelle). Quant à François Chénier, il interprète avec une grande justesse le manque d’envergure du père imaginaire. Car Claude n’a pas été tendre en imaginant ce personnage paternel, qui apparaît ici dans toute sa veulerie…

Or, une question se pose : la vérité de Claude est-elle plus juste – plus vraie – que celle de son père ou de sa mère ? Peut-il, au nom de la liberté artistique, étaler sa version de la vérité sur la place publique ?

Distanciation physique oblige, Henri Chassé a opté pour une mise en scène où les personnages se pourchassent verbalement, mais sans jamais s’approcher. Le spectateur n’y perd pas au change, au contraire : le climat n’en est que plus glacial dans cette famille où les démonstrations émotives sont honnies.

PHOTO FRANÇOIS DELAGRAVE, FOURNIE PAR LE RIDEAU VERT

De gauche à droite : Charles-Alexandre Dubé, François Chénier et Madeleine Péloquin

Seul bémol : le stoïcisme (même non verbal) de ceux qui reçoivent le venin de leur fils, le désarroi de leur mère ou encore les accusations de leur fille a de quoi laisser perplexe. Le regard fixe, les bras croisés ou ballants : on croirait les personnages transformés en statues de sel. Le metteur en scène a de toute évidence choisi d’en faire non seulement des muets taisant l’essentiel, mais aussi des sourds.

Un mot pour finir sur le texte de Michel Tremblay. Même si la pièce se déroule au milieu des années 1960, elle apporte un éclairage troublant sur notre époque, à l’heure on l’on déplore tant de féminicides. La violence de certains hommes, leur incapacité à exprimer leurs émotions et leur impression parfois tenace d’une « conspiration des femmes » dont ils sont victimes… L’occasion est belle pour réfléchir au chemin parcouru. Et à celui qu’il reste à parcourir.

Les classiques ne vieillissent pas, dit-on. Ce qui se déploie en ce moment sur les planches du Rideau Vert en est un autre exemple probant.

À savoir : tous les billets pour cette série de représentations ont trouvé preneur, mais la direction du théâtre proposera à la fin de mai une captation numérique de la pièce. Le vrai monde ? pourrait aussi faire l’objet d’une reprise.

Le vrai monde ?, de Michel Tremblay, mise en scène d’Henri Chassé.
Avec Michel Charette, Isabelle Drainville, Charles-Alexandre Dubé, Charli Arcouette, François Chénier, Madeleine Péloquin et Catherine-Audrey Lachapelle.
Au Théâtre du Rideau Vert jusqu’au 6 mai.
★★★½