Elles sont belles-sœurs dans la vie. Sur scène, Julie Le Breton et Maude Laurendeau portent à bout de bras la pièce de théâtre-documentaire Rose et la machine, qui traite du parcours du combattant que doivent affronter les parents d’enfants autistes pour obtenir des services.

Rose, aînée de Maude Laurendeau et filleule de Julie Le Breton, a reçu il y a quelques années un diagnostic de trouble du spectre de l’autisme (TSA). Un gouffre s’est alors ouvert sous les pieds de sa mère : « Je n’ai pas bien réagi lorsque j’ai reçu le diagnostic de ma fille. Puis, lorsque j’ai voulu obtenir de l’aide, je me suis butée à un système injuste et absurde. »

Pendant des mois, Maude Laurendeau a accumulé les documents pour essayer de faire le tri « dans toutes les informations contradictoires » qu’elle recevait. « J’enregistrais de plus les rencontres avec les spécialistes pour pouvoir les réécouter chez moi, à tête reposée, alors que j’étais moins dans les émotions. »

J’ai aussi commencé à écrire à ma fille. Pour garder un lien avec elle. C’était un des seuls endroits où je pouvais dire ce que je ressentais sans me sentir coupable.

Maude Laurendeau, dramaturge et comédienne

Lorsque Rose a eu 4 ans, la comédienne (qu’on a vue notamment à la télé dans Yamaska et au cinéma dans Babine) s’est présentée avec sa pile de documents sous les bras aux locaux de la compagnie de théâtre-documentaire Porte Parole. « J’avais déjà travaillé avec Annabel Soutar [la directrice artistique] dans la pièce Sexy Béton. Je suis venue lui présenter un projet de pièce à partir de mon expérience. Il y avait une telle urgence pour moi. C’était vraiment un cri du cœur ! » Malgré un calendrier chargé, Annabel Soutar a accepté d’épauler Maude Laurendeau dans l’écriture de sa toute première pièce, où elle tient aussi le premier rôle.

« Ç’a été un processus salvateur pour moi. Les informations que je ramassais sont devenues plus digestes. J’ai pu prendre un peu de recul. Ça m’a permis de donner du sens à une situation que je jugeais absurde. Surtout qu’Annabel a ce talent pour trouver la portée sociale et universelle de ce qu’on croit être une situation intime… »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Julie Le Breton et Maude Laurendeau

Julie Le Breton ajoute : « Maude est une artiste qui a dû mettre en veilleuse sa carrière à la naissance de ses enfants. Cette pièce lui a permis de garder une soupape artistique et d’exister autrement que comme mère. » La remarque fait visiblement mouche. Maude Laurendeau réplique, les yeux dans l’eau : « C’est d’autant plus vrai que je me sentais dépossédée de ce rôle de mère. Il fallait que je m’accroche à quelque chose. Il me fallait un espace pour exister. »

Une partition pour 43 voix

Rapidement, l’idée d’inclure Julie Le Breton, la sœur du père de Rose, dans le processus créatif a rapidement fait surface. C’est à elle que Maude Laurendeau a confié la lourde tâche d’incarner sur scène les spécialistes, les parents et toute la panoplie de gens qui ont croisé la route de la mère en quête de réponses pour sa fille. Au total, Julie Le Breton prête sa voix à 43 personnes toutes bien réelles.

« C’est un défi que je ne soupçonnais pas, dit la comédienne. Comme tous ces gens existent pour vrai, je veux être juste, leur donner une âme. Eux aussi sont pris dans la machine et cherchent de la cohérence dans un système déconnecté. »

Il y a des passages particulièrement délicats lorsque j’incarne une personne neuro-atypique. Soudainement, sa parole peut être entendue. Je veux lui rendre justice. C’est précieux.

La comédienne Julie Le Breton

Elle ajoute : « Jouer 43 personnages, c’est une gymnastique intérieure trippante qui me ramène à la base de mon métier, mais le cœur de la pièce reste Maude, son parcours et ses émotions. C’est un théâtre habité, très délicat qu’elle propose. Il y a une rigueur presque scientifique dans son approche et, en même temps, il y a une telle mise à nu ! Elle a une vulnérabilité extrême, une grande générosité sur scène. Et la metteure en scène Édith Patenaude souhaitait aller dans cette direction. »

Maintenant que la pièce est sur le point d’éclore sur la scène de Duceppe, Maude Laurendeau espère que son travail aidera d’autres personnes qui doivent composer avec une situation semblable à la sienne. « Il y a tellement de parents qui sont laissés en plan. C’est très fâchant. Avec ma pièce, j’ai aussi envie que les gens s’interrogent sur leur rapport à la différence. Il faut laisser nos idées préconçues de côté pour rencontrer réellement les personnes différentes. »

« Comme société, on peut se poser des questions sur l’inclusion, estime Julie Le Breton. Qu’est-ce que ça veut dire vraiment ? Est-ce qu’on est prêts à changer notre façon de faire pour que ces gens-là trouvent un espace pour s’épanouir ? Car ce n’est pas un privilège. C’est un droit. »

Rose et la machine est présentée du 17 novembre au 18 décembre chez Duceppe. Des captations audio en direct sont aussi offertes sur le site de Porte Parole.

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