Précédée d’un bel accueil du public et du milieu lors de sa création à Québec en 2019, la pièce Foreman arrive enfin à Montréal. La production à l’affiche de la salle Fred-Barry, dans une mise en scène fort réussie d’Olivier Arteau et Marie-Hélène Gendreau, a comblé nos attentes. Et notre cœur.

À travers le récit de la virile amitié entre cinq gars de la construction dans la vingtaine, réunis à la campagne au lendemain des funérailles du père de l’un d’eux, l’auteur et comédien Charles Fournier a écrit un texte puissant et touchant sur un sujet peu représenté au théâtre. Une histoire de « gars ben ordinaires », mais qui vivent de grands drames intérieurs.

« À 11 ans, je suis devenu un homme », confie Carlos, au début de Foreman. Par « devenir un homme », le personnage défendu par l’auteur veut dire se construire une solide carapace pour se protéger des autres. Et de lui-même. Pour surtout ne jamais passer pour un « fif ».

Le mot en f, insulte suprême, fait paradoxalement partie de leur vocabulaire quotidien. Car être un homme, pour Carlos, c’est aussi recourir à la violence, donner quelques claques sur la gueule au passage, entre autres excès.

« J’ai écrit Foreman parce que je n’ai plus envie de crier », explique Fournier dans le programme du Théâtre Denise-Pelletier. Plus jeune, l’auteur a travaillé huit ans sur des chantiers de construction, avant d’aller étudier en jeu au Conservatoire à Québec, en 2012.

Sa pièce interroge donc notre conception de la masculinité, sans dentelle ni jugement. Une masculinité à la fois fragile et toxique, ludique et violente, mais surtout bancale. Car Foreman part de la prémisse que la majorité des hommes d’aujourd’hui demeurent incapables d’exprimer leurs émotions, leur vulnérabilité. De père en fils, ces jeunes hommes se construisent sur l’édifice chancelant d’une masculinité de façade.

PHOTO EVA-MAUDE TC, FOURNIE PAR LA COMPAGNIE

Vincent Roy dans la pièce Foreman

Foreman passe habilement des confessions de Carlos aux scènes de party bien arrosées avec ses amis. Des jeunes hommes blancs et hétéros qui ressemblent à des enfants qui ont grandi trop vite. La scène finale où chacun devient un chevalier médiéval, dans une belle cacophonie, nous le rappelle très bien.

Aux côtés de Charles Fournier, on retrouve sur scène Pierre-Luc Désilets, Miguel Fontaine, Steven Lee Potvin et Vincent Roy. Tous des acteurs récemment diplômés du Conservatoire d’art dramatique de Québec, ce qui explique probablement la grande cohésion de cette distribution.

La mise en scène utilise de belles trouvailles, avec entre autres des chorégraphies hilarantes, qui ne sont pas sans rappeler la comédie culte The Full Monty. Elle met aussi en relief l’autodérision du texte, car malgré le sérieux du sujet, le monde de Fournier n’est pas dépourvu d’humour.

La scénographie d’Amélie Trépanier expose des arbres morts juchés au plafond, une corde de bois côté jardin et, au centre, une vieille Toyota Corolla qui aura plusieurs utilités durant la représentation de près de deux heures, mais où on on ne s’ennuie pas.

Foreman est une fort belle réussite qui prouve à nouveau le talent et la vitalité de la création théâtrale venant de la Vieille Capitale. Après Montréal, le spectacle sera de retour au Périscope à Québec, du 9 au 27 novembre ; puis partira en tournée dès le 30 novembre.

Consultez le site du Théâtre Denise-Pelletier

Foreman

De Charles Fournier

Mise en scène d’Olivier Arteau
et Marie-Hélène Gendreau

À la salle Fred-Barry, jusqu’au 6 novembre

8/10