Claude Poissant n’avait pas écrit pour la scène depuis près de 20 ans. Il a repris la plume – et on l’en remercie – pour signer une adaptation coup de poing de La métamorphose de Franz Kafka.

Le dramaturge, metteur en scène et directeur artistique du Théâtre Denise-Pelletier a choisi d’ouvrir sa saison avec ce texte, l’un des plus connus (et des plus analysés) de la littérature mondiale.

Kafka y raconte le destin tragique de Gregor Samsa, un jeune représentant de commerce qui se réveille un matin transformé en gigantesque insecte : une carapace aussi dure qu’une armure, des pattes minuscules, une pilosité rugueuse. Devant cette scène inimaginable, ses parents et même sa chère sœur sont pris d’horreur. La famille tente d’abord de s’accommoder tant bien que mal de cette nouvelle réalité ; elle finira par succomber à ses pires travers. Le dégoût, l’indifférence, le rejet.

Claude Poissant a réussi à capturer l’essence de ce texte célèbre pour mettre en lumière les réactions viles, mais ô combien humaines, de ceux qui entourent l’homme-insecte. Car la métamorphose dont il est question ici n’est pas tant celle de Gregor que celle de sa famille, qui se transforme inexorablement devant le mal incompréhensible du fils. La différence fait peur à tous : le père (Sylvain Scott), la mère (Geneviève Alarie, très juste), la sœur Greta (Myriam Gaboury), l’associé de Gregor (Alexander Peganov)…

Dans le rôle de Gregor, Alex Bergeron est d’une prestance et d’un charisme peu communs.

À chaque apparition, le comédien au jeu très physique semble se décomposer sous nos yeux. Pris par moments de spasmes et de râles effrayants, il apparaît comme un écorché vif en quête d’un geste d’amour qui apaiserait ses souffrances.

Quant à la mère, elle semble aussi prisonnière de sa maison et de son mariage que son fils l’est de sa carapace. Claude Poissant ayant choisi de planter la pièce dans le Québec de la fin des années 1950, le désir d’émancipation des femmes constitue l’un des sujets abordés en filigrane par cette adaptation.

Le texte trouve de plus un écho retentissant avec la crise sanitaire actuelle et la polarisation qu’elle entraîne. La peur de l’autre s’immisçant dans toutes les fissures sociales, La métamorphose soulève plusieurs questions que Kafka n’aurait pu imaginer lorsqu’il a publié son texte en 1915… et que Claude Poissant n’avait pas prévues lorsqu’il a commencé à plancher sur ce projet d'avant-pandémie.

PHOTO GUNTHER GAMPER, FOURNIE PAR LE THÉÂTRE DENISE-PELLETIER

Dans la scénographie imaginée par Pierre-Étienne Locas, la scène est divisée en deux espaces également étouffants.

Un mot en finissant sur la scénographie fort réussie de Pierre-Étienne Locas, qui divise la scène en deux blocs asymétriques. D’un côté, la salle à manger sans murs, mais plongée dans l’obscurité. De l’autre, la chambre exiguë qu’on devine au travers d’un jeu d’écrans. Deux espaces également étouffants, qui deviennent presque invivables lorsque s’ajoute la musique inquiétante à souhait, imaginée pour l’occasion par le compositeur Philippe Brault.

Bref, on ne sort pas de La métamorphose aussi insouciant qu’à l’arrivée… Dieu merci.

La métamorphose

D’après l’œuvre de Franz Kafka. Adaptation et mise en scène de Claude Poissant. Avec Alex Bergeron, Geneviève Alarie et Myriam Gaboury.

7/10