Dans la vie, il y a parfois des choix qui font basculer notre destin. Avec La brèche (The McAlpine Spillway), pièce écrite en 2015, juste avant qu’éclate le scandale impliquant le producteur Harvey Weinstein et la vague de dénonciations #metoo, Naomi Wallace nous montre l’importance du consentement dans un groupe d’adolescents, dominés par l’éveil de leur sexualité, à la fin des années 1970. Et ses répercussions sur les adultes qu’ils sont devenus, en exposant la banalisation de la culture du viol et les dérives de la masculinité toxique.

Originaire du Kentucky, la dramaturge, dont les pièces n’ont pratiquement jamais été montées au Québec, est mieux connue en France. Elle fait l’objet ces jours-ci d’une production fort attendue qui a ouvert la saison de l’Espace Go, dans le respect des nouvelles mesures sanitaires.

Naomi Wallace expose le côté obscur des États-Unis, dans la pure tradition des auteurs de tragédies sociales de son pays ; les Arthur Miller, Paula Vogel, John Patrick Shanley… Un théâtre où le destin est une machine à broyer les citoyens vulnérables de l’Amérique blanche et nantie.

Résumé

La pièce commence en 1977 dans le sous-sol de la maison familiale. Jude, qui aura bientôt 17 ans, se sent responsable de son plus jeune frère Acton, depuis la mort accidentelle de leur père, ouvrier qui travaillait dans un chantier de construction, alors que leur mère ne parvient pas à joindre les deux bouts.

On se rend rapidement compte que la vie des deux adolescents est un mélange de sacrifices, de malheurs et de déceptions au quotidien.

Frêle, timide et asthmatique, Acton est le candidat idéal pour l’intimidation à son école. Pour survivre, il se lie d’amitié avec deux autres élèves, Frayne et Hoke, plus âgés que lui et, surtout, plus perfides. Le trio conclut un pacte de fidélité en amitié, en s’engageant à sacrifier ce qu’il possède de plus précieux au monde. Poussé par ses amis, Acton se voit donc contraint à faire un choix immoral. Et fatal.

PHOTO YANICK MACDONALD PHOTOGRAPHE, FOURNIE PAR L’ESPACE GO

Jean-Moïse Martin, François-Xavier Dufour et Ève Pressault

En 1991, 14 ans plus tard, après la mort tragique d’Acton, Frayne, Hoke et Jude se retrouvent au même endroit pour fraterniser… et régler leurs comptes avec le passé. Naviguant d’une époque à l’autre, La brèche illustre la faille entre les désirs brisés de la jeunesse et la désillusion des adultes résignés à leur sort. Une trajectoire qui déviera avec la révélation du lourd secret de Jude lors de ces retrouvailles.

Verdict

Si le message de la pièce est un peu lourd, la mise en scène statique de Solène Paré, laborieuse et poussive, n’aide pas à donner du rythme à cette production. Sa direction d’acteurs non plus. Les interprètes semblent coincés dans leurs costumes et dans le décor au plafond bas, perdus dans l’imposante scénographie signée par le talentueux Max-Otto Fauteux.

PHOTO YANICK MACDONALD PHOTOGRAPHE, FOURNIE PAR L’ESPACE GO

Valérie Tellos et Alice Dorval, dans une scène de La brèche

La metteuse en scène a aussi confié le rôle d’Acton à une femme (Alice Dorval). Un choix judicieux, car cette jeune actrice fort douée joue sur un fil la tragédie annoncée. Cheveux très courts, look androgyne, Dorval fait penser à une Antigone du Midwest, qui hésite entre obéir ou désobéir, rongée par sa soif d’absolu. La souffrance de sa grande sœur révoltée est aussi bien rendue par Ève Pressault.

La traduction de Fanny Britt est très bonne. Toutefois, le texte est redondant, voire longuet. On y dépeint à grands traits le duo masculin machiavélique, en insistant sur son aveuglement, alors que l’ignominie de son pacte saute aux yeux ! En 1977 comme en 2021, on dirait bien qu’il faut souligner plusieurs fois le drame pour faire entendre sa souffrance.

La brèche

Texte de Naomi Wallace, traduction de Fanny Britt, mise en scène par Solène Paré.
Avec Alice Dorval, Ève Pressault, François-Xavier Dufour et Jean-Moïse Martin.

Théâtre Espace Go., Jusqu’au 26 septembre