La première fois que Solène Paré a lu la pièce The McAlpine Spillway (La brèche, en version française), elle en a fait des cauchemars.

« Cette lecture m’a fait mal jusque dans ma chair, raconte la metteuse en scène. Le texte est très cru. J’en suis sortie dégoûtée des violences du monde capitaliste dans lequel on vit et qui exploite le corps de la femme. J’ai tout de suite compris qu’il fallait que cette pièce soit présentée au Québec. »

Écrite par l’Américaine Naomi Wallace et traduite ici par Fanny Britt, La brèche raconte l’histoire tragique de quatre adolescents : Hoke le nanti, Frayne le charismatique, Jude la rebelle et son jeune frère, Acton le timide. Le premier vient d’un milieu très aisé ; les autres, beaucoup moins. Une nuit, ils décident que chacun devra sacrifier ce à quoi il tient le plus pour sceller leur amitié. Un pacte qui influencera à jamais leur destin…

La pièce présentée dès mardi à l’Espace Go saute fréquemment d’une époque à l’autre, s’attardant tantôt au quotidien de ces jeunes adolescents de 1977, tantôt aux retrouvailles des adultes qu’ils sont devenus, 14 ans plus tard.

Les personnages sont pris dans une machine qui ne s’arrêtera pas avant qu’il y ait mort d’homme. Ils ne mesurent pas l’ampleur de leurs actes. Ce qu’ils font est grave, mais le drame n’arrive pas forcément d’où on le croyait.

Solène Paré, metteuse en scène

« Ce que j’aime, c’est que Naomi Wallace n’apporte aucune réponse. Pour moi, le théâtre est l’espace du doute. Il permet d’ouvrir la réflexion en faisant confiance à la sensibilité de ceux qui le regardent. »

Quand le capitalisme broie les femmes

En 2019, toujours à l’Espace Go, Solène Paré a dirigé – avec brio – la pièce Les louves, qui racontait les luttes intestines d’une jeune équipe féminine de soccer. La brèche prend aussi sa source dans les tourments adolescents. Mais il ne faut pas croire pour autant que l’adolescence lie les deux œuvres.

Le lien serait plutôt le triste constat de ce que le capitalisme fait à nos corps, en particulier à celui des femmes. Car force est de constater que le rêve américain prône une certaine culture du viol…

Solène Paré, metteuse en scène

La question du consentement, qui fait les manchettes des journaux depuis des mois, notamment avec les vagues de dénonciation et le mouvement #metoo, trouve aussi chez Naomi Wallace (comme chez Solène Paré) un écho retentissant.

« Il y a un point de vue féministe important dans ma démarche, explique la metteuse en scène. J’aime mettre au centre de la scène des femmes dissidentes et complexes, qui remettent le système en question. Cette prise de parole féministe est essentielle à mes yeux, en particulier ces temps-ci. Il ne faut pas oublier que nous en sommes à 14 féminicides cette année au Québec. Alors que la saison de théâtre recommence, j’ai envie de dire à ces femmes : nous ne vous avons pas oubliées… »

Pièce censurée

Fait à noter, The McAlpine Spillway n’a jamais été présentée aux États-Unis dans sa langue originale. Une fois le texte final remis, le théâtre qui avait commandé la pièce a cédé aux pressions d’un commanditaire en refusant de produire le spectacle. Pourquoi ? Parce que ce texte, déjà très critique sur les questions d’inégalité des classes et des genres, condamne sans ambages les puissantes sociétés pharmaceutiques, explique Solène Paré. « La brèche dénonce notamment le fait qu’aux États-Unis, la classe supérieure régit le corps des autres, qu’elle fait de l’argent sur la détresse des autres. »

Résultat : aucun théâtre américain n’a osé toucher à ce texte incandescent depuis sa parution, en 2019. Voilà qui suffit à attiser notre curiosité.

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