Actrice, autrice, metteure en scène et directrice de compagnie, Marie Brassard est une artiste polyvalente et inspirée. La Presse s’est entretenue avec elle à la veille de la présentation de son tout nouveau spectacle, Violence, cette semaine au Festival TransAmériques (FTA).

Vous êtes très fidèle au FTA depuis le début, d’abord avec les pièces de Robert Lepage, ensuite avec vos créations et vos solos. Qu’est-ce que le FTA représente dans votre parcours ?

Le FTA est quelque chose d’exceptionnel pour moi. Ce festival m’a énormément soutenue dans ma carrière. C’est une plateforme qui m’a permis de travailler en toute liberté, et puis de diffuser mon travail un peu partout dans le monde. Quand je suis devenue une artiste indépendante en fondant ma compagnie Infrarouge, il y a 20 ans, le FTA m’a permis de relancer ma carrière.

Justement, cette seconde partie est arrivée en 2001, avec le solo Jimmy créature de rêve, dans lequel vous avez fait le pari de marier les technologies sonores au jeu théâtral. Est-ce important pour vous d’intégrer les nouvelles technologies dans les arts vivants ?

La technologie m’a toujours intéressée. Et elle est devenue avec le temps mon terrain de jeu. Dans Jimmy créature de rêve, les technologies relatives au son m’ont aidée à développer mon langage comme metteure en scène, mais aussi comme actrice. J’ai pu explorer différents niveaux de jeu, d’autres façons de jouer sur scène. Parfois, le milieu du théâtre est frileux par rapport aux technologies. Moi, je vois plutôt un potentiel très chaleureux, très stimulant pour les artistes de la scène. Mais le théâtre reste d’abord une expérience humaine. À la base, il y a toujours un être humain derrière une technologie.

Dans un entretien sur le site du FTA, vous citez une phrase de l’écrivain John Berger pour expliquer votre démarche artistique : « Si tu veux savoir où tu vas, regarde d’où les enfants viennent. » Pour être artiste, faut-il nécessairement garder intact son regard d’enfant ?

Depuis le début de ma carrière, [Marie Brassard a étudié au Conservatoire de Québec et débuté comme comédienne avec le Théâtre Repère à Québec, en 1985, dans La Trilogie des Dragons], je tente de rester libre et fidèle à moi-même. Ce n’est pas toujours facile, mais j’essaie d’oublier toutes les notions reliées au succès, à la rentabilité, à la notoriété. J’aime repartir à zéro à chaque nouvelle création avec mes collaborateurs et vivre pleinement l’expérience humaine qui s’offre à moi.

Vous deviez partir en résidence au Japon, puis en Allemagne, avec votre équipe de collaborateurs, pour la création de Violence. La pandémie en a décidé autrement…

Ç’a été toute une aventure ! Il a fallu repenser complètement le projet en tenant compte de la distance dans l’espace et le temps. Lorsqu’on a vu que ça devenait très complexe et très onéreux de faire ces résidences en temps de pandémie, on a créé une équipe de création au Japon et répété virtuellement avec eux par Zoom. Les artistes japonais qui collaborent à Violence seront présents sur scène par l’entremise de la vidéo intégrée à la proposition. Et dès que ce sera possible, je vais inviter les actrices japonaises à jouer dans le spectacle.

Vous avez souvent voyagé et travaillé au Japon. Ce pays vous inspire-t-il ?

Le Japon m’a toujours inspirée, depuis ma tendre jeunesse. D’abord, à travers les mangas, puis la danse butō, le théâtre kabuki. Il y a une telle liberté créatrice dans la culture et l’imaginaire japonais. Par exemple, pour Violence, j’ai fait des recherches sur un art très ancien au Japon, le kintsugi. C’est une technique qui sert à réparer des objets cassés, soit en terre cuite ou en porcelaine, avec de l’or liquide pour assembler les morceaux. Cette technique souligne les cassures et l’usure du temps, tout en créant un objet tout neuf. C’est très beau, car c’est une métaphore sur la durée, sur la richesse et sur la beauté de la vieillesse. Cet art nous montre qu’on peut tous passer à travers les épreuves de la vie – et nous montrer tels que nous sommes, avec nos failles et nos cicatrices. En pleine lumière.

D’ailleurs, la destruction et la création sont deux idées très liées dans votre travail. Vous dites que la « nature cristallise cette concordance dans les cycles de violence qui font partie de notre écosystème ». Le thème de Violence, est-ce le chaos ?

Oui, je crois qu’un artiste doit embrasser le chaos. En tout cas, moi, le chaos m’aide à créer. Le chaos est très important pour donner une autre direction, nourrir le sens de l’œuvre. Comme dans la vie, les catastrophes servent à exposer la résilience de l’être humain. J’ai traversé une énorme tempête pour arriver à la première de Violence au FTA. J’ai dû m’adapter à toutes les contraintes liées à la pandémie. Côté chaos, on peut dire que j’ai été bien servie ! (rires)

Du 27 mai au 2 juin, au théâtre Jean-Duceppe de la Place des Arts, à Montréal.

Consultez le site du FTA

Violence sera aussi présenté en septembre à Athènes et au Théâtre français du Centre national des arts, à Ottawa, et dans plusieurs villes en 2022. Les dates restent à confirmer.