Le défi était grand : tricoter en quelques semaines à peine un programme théâtral digne de ce nom, tout en respectant sur scène la distanciation physique. Pour y parvenir, la direction du théâtre Duceppe a opté pour quatre pièces intimistes, dont un King Dave défendu par l’acteur d’origine haïtienne Anglesh Major.

Pour ce programme automnal pas comme les autres, Jean-Simon Traversy et David Laurin, codirecteurs artistiques chez Duceppe, ont décidé de donner une deuxième (voire une troisième) vie à des œuvres qui ont déjà reçu un bel accueil critique et public. Ainsi, deux pièces présentées récemment en formule 5 à 7 – le solo Toutes les choses parfaites et Le loup – reviennent en version plus étoffée. Après plusieurs passages à guichets fermés à La Licorne, La meute, de Catherine-Anne Toupin, poursuivra aussi sa belle carrière sur la scène du théâtre Jean-Duceppe.

Mais le coup de génie de cette programmation est sans conteste le retour de King Dave, dans une version entièrement réécrite pour coller à la peau de celui qui endossera ce rôle immense, naguère défendu (et créé) par Alexandre Goyette : l’acteur d’origine haïtienne Anglesh Major.

PHOTO FOURNIE PAR L’AGENCE DE LAUNIÈRE

Le comédien Anglesh Major

« C’est Alexandre qui nous a contactés, en juin, pour nous dire qu’il aimerait bien présenter de nouveau King Dave, mais sans jouer le rôle-titre, dit Jean-Simon Traversy. Il a vu Anglesh Major dans Les amoureux, de Goldoni, et a décidé de le passer en audition. Ç’a été un gros coup de cœur ! » Les deux hommes ont remanié la pièce pour s’approcher davantage de la vérité de ce Dave nouveau, pour qui le racisme systémique n’est pas qu’un concept théorique.

Trois des quatre pièces à l’affiche ont été signées par des dramaturges québécois. Ce n’est pas un hasard, dit David Laurin.

Nous avons voulu redonner à notre communauté et aider nos auteurs, plutôt que d’envoyer un chèque de droits d’auteur à l’étranger. La pandémie nous a forcés à penser davantage à l’achat local, et ça se concrétise dans notre programmation.

David Laurin

De petits spectacles sur une scène immense

Qu’il s’agisse de King Dave (un solo) ou du Loup (un duo signé Nathalie Doummar mettant en vedette Luc Senay et Maude Guérin), aucune des quatre pièces du programme automnal n’a jamais été montée sur une scène aussi grande que celle du théâtre Jean-Duceppe. Comment éviter que ces spectacles aient des allures de Lilliputiens portant des habits de géant ?

D’abord en coupant la scène en deux, sur la profondeur, pour donner plus de proximité entre la scène et le public. « Nous avons décidé d’aménager un plateau tournant, explique David Laurin. Il y aura un deuxième décor qui sera monté derrière un rideau noir. Si on doit changer la pièce au programme parce qu’un acteur tombe malade, par exemple, nous pourrons réagir rapidement. Notre grande scène nous permet cela. »

La largeur de la scène pourra aussi être réduite, selon les désirs des concepteurs. Reste à savoir comment habiller la salle proprement dite… « Ce n’est pas 747 personnes qui vont voir les spectacles chaque soir, mais plutôt 177, en moyenne, dit David Laurin. Il va falloir trouver des solutions pour garder de l’ambiance dans la salle. Est-ce qu’on mettra des plantes ou autre chose sur les fauteuils vides ? On va voir et s’ajuster selon les échos qu’on aura des spectateurs. » L’engouement du public déterminera aussi combien de temps chaque pièce sera à l’affiche. Ainsi, chaque spectacle est marqué d’une date de début au calendrier, mais pas de date de fin… « On pourra étirer le nombre de représentations selon la demande », indique David Laurin.

Chose certaine, les spectateurs sont prêts à retourner au théâtre, dit le codirecteur artistique. « Notre dernier sondage, fait au début d’août, démontre que 44 % des répondants sont prêts à revenir au théâtre dès septembre. En mai, cette proportion était de seulement 22 %. »

« On comprend mieux maintenant comment se vit la distanciation physique, avec le masque et tout, ajoute Jean-Simon Traversy. À la mise en vente des billets, on en a vendu 1200 en 36 heures. Les gens qui aiment le théâtre s’en sont ennuyés profondément… »