(Paris) « Que va-t-on faire ? Et comment ? » Les compagnies de théâtre pour qui le « off » d’Avignon est un passage incontournable chaque été vivent l’annulation du festival comme « un traumatisme » et peinent à faire émerger des alternatives.

« Ne pas participer à Avignon, ça change tout », confie à l’AFP Xavier Lemaire, directeur de la compagnie Les Larrons.

Avec près de 1500 spectacles, plus de 1000 compagnies et des milliers de professionnels, le festival constitue le plus grand marché du spectacle vivant en France : près de 20 % des achats de pièces dans l’Hexagone y sont réalisés. Une sorte de « plaque tournante » à l’instar du « fringe » du Festival d’Édimbourg, également annulé.

« Avignon permet une exposition et assure la vente de spectacles, qui permet ensuite d’assurer la production d’autres spectacles. Quand on l’arrête, tout s’arrête », raconte le metteur en scène qui avait trois spectacles programmés pour l’édition 2020 qui aurait dû débuter vendredi.

De mars à fin juillet, il a perdu 90 dates et 260 000 euros (400 000 $) en chiffre d’affaires.

Et diffuser ses spectacles en ligne ? Cela « retire l’émotion, alors que le théâtre se construit autour d’une scène et d’un public ».

« Embouteillage » en perspective

Les difficultés ne sont pas les mêmes, entre petites compagnies indépendantes et compagnies subventionnées, celles qui ont déjà une certaine renommée et les plus récentes.

Guy-Pierre Couleau, directeur de la compagnie subventionnée Des Lumières et Des Ombres, devait présenter un spectacle au théâtre des Halles, qui fait partie du réseau Scènes d’Avignon.

La compagnie n’a pas eu à avancer d’argent pour la location de la salle, une chance à Avignon où les lieux se sont multipliés, se louant parfois à des prix exorbitants. Et malgré « des obligations de résultats » et « d’éducation artistique et culturelle », elle continue de recevoir sa subvention (environ 80 000 euros ; 122 000 $).

Aujourd’hui, M. Couleau pense renoncer définitivement à son spectacle. « Pour monter un tel projet, c’est deux ou trois ans de travail. Si jamais je devais repartir, ce ne serait pas avant 2022 ou 2023 et les théâtres nous disent qu’il va y avoir un embouteillage ».

Cette crainte est partagée par Julie Timmerman, autrice, metteure en scène et directrice de la compagnie Idio’mécanic. Elle n’y jouait cette année, mais avait prévu des rendez-vous avec des théâtres et des institutions pour préparer l’édition 2021 du festival, une étape « indispensable » selon elle pour attirer directeurs de théâtre et programmateurs.

« Comme tout est reporté, je crains qu’il n’y ait pas de place pour ceux qui veulent créer en 2021 », explique-t-elle. « Sachant que la tournée qui est issue d’Avignon, c’est toujours no 1. Si on y va en 2022, on tourne seulement en 2023-2024 », s’inquiète-t-elle.

Dispositifs d’aides

À Avignon, beaucoup de théâtres ont proposé aux compagnies de reprendre leur spectacle l’année prochaine. Un fonds d’urgence en direction des salles d’Avignon est également en train d’être mis en place, « à condition qu’elles remboursent les compagnies qui avaient engagé des frais », prévient Pierre Beffeyte, président du festival Off d’Avignon.

Les professionnels du théâtre ont bénéficié des mesures de chômage partiel et de l’année blanche accordée aux intermittents par le président Macron, mais certains, comme les auteurs, sont en grande partie exclus des dispositifs d’aide.

« On a fait 15 propositions avec le Syndicat national des metteurs en scène pour créer un fonds d’aide parce qu’il faut trouver une manière de dédommager les auteurs sur les dates annulées », souligne ainsi Cyril Le Grix, vice-président de ce syndicat.

« C’est très difficile pour les compagnies d’y voir clair. Il n’y a presque que des cas particuliers et on craint de voir revenir la deuxième vague (de COVID-19, NDLR) alors que le spectacle vivant n’a pas encore commencé à redémarrer, ce serait catastrophique », poursuit-il.

Pour offrir aux artistes une visibilité, un projet solidaire, « Avignon Online », a été créé pour tenter de redonner vie virtuellement au festival, offrir des vidéos promotionnelles des spectacles et faire découvrir la programmation des théâtres.

Et comme maigre consolation, du 16 eu 23 juillet, un cycle de lectures d’une quinzaine de textes contemporains inédits est organisé au cloître du Palais des Papes, haut lieu d’Avignon.