L’idée de Trip a germé dans la tête de Mathieu Quesnel en 2017.

L’acteur, dramaturge et metteur en scène endossait alors le rôle de Randle McMurphy, personnage principal de Vol au-dessus d’un nid de coucou, sur la scène du Rideau Vert. « Je ne connaissais pas l’auteur du roman, Ken Kesey. J’ai fait des recherches et ce que j’ai découvert m’a fait triper, notamment son idée de réformer sa propre philosophie, ce qu’il faisait avec les drogues à l’époque… J’aimais cette vision de la contre-culture, du psychédélisme, même si ç’a été récupéré depuis. »

Avec son groupe, les Merry Pranksters, Kesey organisait de vastes fêtes qu’il avait baptisées Acid Tests, où les drogues hallucinogènes étaient consommées en grande quantité. Neal Cassady, Allen Ginsberg et Hunter S. Thompson y ont été aperçus. Les Grateful Dead s’occupaient de la musique…

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Le metteur en scène, Mathieu Quesnel

Les gens de la Beat Generation étaient des affamés qui aimaient la poésie et en faisaient. Ils ont introduit l’ultra-réalisme dans la littérature tout en remettant en question notre façon de faire.

Mathieu Quesnel

Cette époque foisonnante a inspiré Mathieu Quesnel pour sa nouvelle création, Trip, qu’il décrit comme « une comédie spirituelle » dans laquelle il a distillé quelques gouttes de la réalité québécoise. « Mon instinct me disait qu’il fallait réunir une grosse gang sur scène, pour être fidèle à Kesey qui prônait la création de groupe… » Il a donc convié 16 comédiens et comédiennes de diverses générations à faire partie de cet ambitieux projet ; Sylvie Potvin, Navet Confit, Yves Jacques et Simon Lacroix, notamment, ont dit oui.

Il admet que diriger pareil groupe n’a pas été de tout repos. « Par moments, c’était un vrai casse-tête. C’est assez casse-gueule comme projet… J’avais aussi le défi d’écrire une partition à peu près équitable pour chaque personne, pour que tous aient leur moment. »

Pour cette pièce décalée et éclatée, Quesnel a décidé de jouer la carte de la mise en abîme. On y suit la troupe de théâtre d’un groupe d’entraide qui décide de monter une pièce inspirée de la Beat Generation. L’auteure de la pièce, Lucie (interprétée par Amélie Dallaire), est une jeune femme instable. Ses partenaires de jeu ont tous leurs propres défis à relever… Son père (Yves Jacques) et son psychologue (Stéphane Demers) ont aussi décidé d’intégrer la troupe, à leurs risques et périls.

Dans cette troupe atypique où les décisions se prennent par vote – et où la minorité l’emporte –, les personnalités de chacun viennent teinter le spectacle. La musique joue aussi un rôle central.

« J’ai voulu faire un spectacle qui ne ressemblait à rien de connu, lance Mathieu Quesnel. Comme Kesey avec ses “tests de compréhension de l’univers”, j’ai essayé de faire une pièce qui testait sa propre théâtralité, avec des projections et de la vidéo, mais aussi avec un fond extrêmement réaliste. C’est un objet automatiste, en quelque sorte, qui va dans toutes sortes de zones. Un peu à l’image de la Beat. J’essaie de déstabiliser le spectateur sans jamais le larguer.

« Je trouvais aussi très intéressant de replonger dans les idées de la Beat Generation pour réfléchir à notre mode de vie. La pièce est ludique, mais je ne voulais pas que ce soit juste une boutade… »

Ce spectacle, c’est faire tout ce qu’on ne peut pas faire en théâtre. Je pense que Mathieu est un aimant ; tu as envie de faire partie de ses aventures. Ensemble, on essaie des affaires qui sont essentielles, plus que jamais.

Le comédien Stéphane Demers

Tant Stéphane Demers que Mathieu Quesnel l’ont noté : ils n’auraient pu trouver meilleure salle pour présenter cette pièce que l’Espace libre, où Robert Gravel a fait jadis ses propres expérimentations.

« Gravel était content d’avoir deux spectateurs qui rient à côté de deux autres qui étaient fâchés ! Il cherchait une certaine dualité, avec des rires, des propos ironiques et un double niveau d’interprétation. Je suis là-dedans moi aussi », dit Mathieu Quesnel.

Trip, du 6 au 21 mars à l’Espace libre

La Beat vue par…

Sylvie Potvin

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L’actrice, qui interprète dans Trip une « médium un peu fêlée du coco », a vécu l’effervescence des années Beat. « Au début des années 70, j’étais étudiante à l’Université d’Ottawa – en arts visuels, parce que le département de théâtre était trop straight ! –, et on montait des performances où l’on absorbait certaines substances qui pouvaient transformer notre façon de voir les choses. On se mettait dans un état d’esprit où la réalité ne fonctionne pas en ligne droite. On avait le désir d’aller plus loin, autrement », explique celle qui a vécu dans une commune californienne dans les années 70.

Frédéric Millaire-Zouvi

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« C’était une période foisonnante d’écriture et de création, où l’on brassait tout ce qui était installé : la famille parfaite, la maison en banlieue. Il y a une prise de liberté par l’art, par l’amour. Avant d’agir ou de prendre une décision, les gens de la Beat vont tester toutes sortes d’affaires, ils vont réfléchir, pour ne pas se fier seulement aux conventions. Et ils vont prendre un malin plaisir à foutre la merde ! », lance celui qui endosse à la fois le rôle de Jean-Noël, « un gars qui a des problèmes de dépendance », et celui de Neal Cassady, une des figures marquantes de la Beat Generation.

Stéphane Demers

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« On se rend compte de l’influence que la Beat Generation a eue sur les courants sociaux et sur les arts. C’était l’époque où tout était possible, où l’on pouvait laisser l’imaginaire prendre toute la place au théâtre et déborder de la ligne quand on dessinait. C’était une révolution par rapport à tout ce qui était formaté. Avant eux, tout devait rentrer dans des petites cases, et j’ai l’impression que c’est ce qui nous guette aujourd’hui. De nos jours, on fait beaucoup le pari de l’efficacité dans les arts. Il faut lutter contre ça », estime l’interprète de Pierre, le psychologue de Lucie.

Amélie Dallaire

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Celle qui interprète Lucie Sauvé D’Amours, le personnage principal de Trip, se dit très inspirée par la philosophie de la Beat : « Ils mettaient le désordre, cassaient l’ordre établi. On ne remet pas assez souvent l’ordre en question, et je trouve ça inspirant pour notre propre vie. C’est vrai même au théâtre, où il y a une hiérarchie, où l’on doit faire des demandes de subventions… Être transgressif au théâtre, c’est quoi aujourd’hui ? C’est peut-être faire ce dont on a envie. » S’il n’en tenait qu’à son personnage, la scène serait le lieu de toutes les expériences « avec du LSD et du cul ».