Depuis une semaine, une polémique, qui rappelle celles de SLĀV et de Kanata, secoue le milieu du théâtre au Canada anglais. À l’origine de la tempête : le souhait formulé par l’artiste Yolanda Bonnell que sa pièce bug, présentée au Théâtre Passe Muraille à Toronto, soit critiquée uniquement par des personnes racisées ou autochtones. Les reporters blancs sont bienvenus dans la salle, mais à titre de « témoins des effets du colonialisme ». L’artiste leur demande donc de s’abstenir de s’exprimer sur Bug.

Mme Bonnell, artiste queer d’origine ojibwée et sud-asiatique, a expliqué sa décision en avançant que l’expérience autochtone fait intrinsèquement partie de sa proposition : « Ma création est une cérémonie qui s’inscrit dans un contexte culturel et historique. Elle ne cadre pas avec la pratique coloniale de la critique théâtrale mainstream [traditionnelles, grand public] », a-t-elle écrit dans un billet publié par Vice.

> Lisez le billet de l’artiste

Depuis, des médias torontois – et même étrangers – se sont emparés de l’affaire, et Mme Bonnell a reçu plusieurs messages racistes et insultants sur les réseaux sociaux. « En poussant un peu, on arriverait à la conclusion que seule Yolanda Bonnell possède la science nécessaire pour commenter le travail de Yolanda Bonnell », a par exemple commenté un journaliste français sur le site de L’Obs.

Joint par La Presse, le directeur artistique du Théâtre autochtone du Centre national des Arts (CNA), à Ottawa, Kevin Loring, s’explique mal la réaction « intense et violente » qu’a suscitée chez certains la demande de l’artiste. « Yolanda a fait une demande légitime d’avoir un point de vue non blanc sur sa création. Elle souhaite installer de nouvelles règles et amener de nouvelles voix dans la conversation. »

PHOTO ADRIAN WYLD, LA PRESSE CANADIENNE

Kevin Loring, directeur artistique du Théâtre autochtone du CNA

C’est une provocation positive pour tenter de faire bouger les choses. D’expérience, je peux dire que mon travail a souvent été mal interprété par les critiques [non autochtones]. Ils passaient à côté de la proposition, ne comprenaient pas le contexte et faisaient plein d’erreurs…

Kevin Loring, directeur artistique du Théâtre autochtone du CNA

Le directeur artistique pourrait-il lui-même exiger que les productions qu’il programme ou dirige dans son théâtre soient couvertes par des non-Blancs ?

« Personnellement, non, je ne le ferais pas. Mais si un artiste qu’on présente m’en fait la demande, je vais respecter son souhait et essayer de le satisfaire. À mon avis, ce type de provocation est sain pour le milieu théâtral. Il peut faire bouger les choses en se débarrassant d’un vieux modèle. La critique doit elle aussi changer, pas seulement exprimer la vision monolithique d’un groupe dominant, en perpétuant une vision traditionnelle du théâtre. [Yolanda Bonnell] ouvre la discussion à d’autres perspectives, à une diversité d’opinions. »

Pour Kevin Loring, les réactions négatives à la demande de Yolanda Bonnell sont révélatrices. « Ces gens résistent au changement, dit-il. Or, on a besoin de brasser la cage. » 

L’art autochtone est un acte de résistance. Nos créateurs sont des guerriers culturels qui réagissent à des siècles d’oppression, de domination et d’invisibilité sur nos scènes. Pour un créateur autochtone, c’est impossible de faire une œuvre qui ne soit pas un geste politique.

Kevin Loring, directeur artistique du Théâtre autochtone du CNA

Contactée par La Presse, l’artiste Yolanda Bonnell a décliné notre demande d’entrevue à cause « des attaques racistes » dont elle a été la cible.