Il y en a aux quatre coins du monde, de ces hommes et de ces femmes qui investissent la place publique pour prendre la parole, invectiver le sort, commenter l’actualité. Ces râleurs de la Martinique et du Québec sont au cœur d’un ambitieux projet artistique intitulé Entends-tu ce que je te dis ? Kouté mwen titak ! offert gratuitement en ligne à compter de vendredi.

Daniel Brière et le Nouveau Théâtre Expérimental (NTE) sont derrière ce spectacle qui réunit des créateurs de la Martinique et du Québec. « Au NTE, nous avions depuis longtemps envie d’une collaboration avec les Caraïbes. Nous avons approché les gens de Tropiques Atrium, en Martinique, qui ont été emballés par le projet. »

Au départ, ce projet s’articulait autour d’une pièce de théâtre qui devait être présentée en salle, à Espace Libre. COVID-19 oblige, les plans ont changé et l’œuvre s’est transformée. Mais le thème est resté le même, c’est-à-dire les râleurs (ou les chialeurs, comme on les surnomme ici).

« Des râleurs, il y en a partout dans le monde, dit Daniel Brière. Ce sont des gens qui vont sur la place publique pour s’exprimer. On est souvent dans un paradigme de l’individu versus la masse. On ne leur porte pas toujours attention, mais leurs paroles peuvent parfois être étonnantes et nous pousser à réfléchir. Pour une fois, on permet à ces râleurs de raconter où ils sont dans leur vie, pourquoi ils sont à ce point en colère. »

L’homme de théâtre, qui agit comme réalisateur sur ce projet, a remarqué que les râleurs ne sont pas les mêmes ici et en Martinique. On le voit, dit-il, dans les textes qui composent l’ossature du projet et où la langue se teinte d’accents français, québécois et créoles. En effet, quatre monologues ont été écrits par quatre auteurs différents, soit Alexis Martin et Gabrielle Chapdelaine pour le Québec et Daniely Francisque et Bernard Gaétan Lagier pour la Martinique.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LAPRESSE

Daniel Brière

En Martinique, il y a un désir d’émancipation dans le discours et en particulier d’émancipation de la femme dans les textes des auteurs martiniquais. Au Québec, le phénomène des râleurs est plus urbain…

Daniel Brière

On rencontrera donc au détour des scènes des femmes « en ébullition », sur le point de rompre avec le carcan de la vie martiniquaise, un décrocheur universitaire québécois qui, thèse sous le bras, vient défendre sa vision du monde à l’abribus ou encore cette jeune femme qui soliloque, le cellulaire scotché à l’oreille. Les acteurs Joanie Guérin, Bruno Marcil, Daniely Francisque et Steffy Glissant incarnent ces quatre personnages en quête d’une oreille attentive dans laquelle déverser leurs mots et leurs maux.

PHOTO FOURNIE PAR LE NTE ET TROPIQUES ATRIUM

Joanie Guérin incarne une jeune femme assoiffée de reconnaissance, dans un texte écrit par Gabrielle Chapdelaine.

Avec le confinement et la fermeture des salles de théâtre, le projet a évolué pour prendre une tangente résolument numérique.

« Le spectacle est à cheval entre les images numériques et le théâtre, dit Daniel Brière. Nous avons tourné dans deux studios, un en Martinique et un au Québec, devant un écran vert et nous avons réuni les acteurs de façon numérique. Le résultat final est très théâtral, très artistique. C’est expérimental, mais très évocateur. On est dans un univers qui n’est pas réaliste, composés par plusieurs couches d’images en transparence. » Un vidéaste martiniquais, David Gumbs, a travaillé à ce décor virtuel en superposant des photos de son île.

En raison de l’interdiction de voyager, la presque totalité du processus créatif s’est faite par écrans interposés. « J’ai assisté aux répétitions et au tournage par Zoom, raconte Daniel Brière. On a pris la décision d’aller de l’avant avec la pièce, mais virtuellement, en juin. À partir de là, on a travaillé sur le projet comme s’il s’agissait d’un film. » Une décision logique dans les circonstances, dit-il. « Migrer vers le web avait du sens avec cette pièce, puisqu’internet et les médias sociaux sont des tribunes idéales pour les râleurs. Certains sont des râleurs professionnels, qui passent beaucoup de temps à proférer leur parole… »

Entends-tu ce que je te dis ? Kouté mwen titak ! est offert gratuitement en ligne à compter du 18 décembre.

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