Jacques Godin était un volcan tranquille. Un homme au physique imposant, à la voix puissante, mais aussi un être d’une grande sensibilité, d’une extrême délicatesse. L’acteur est décédé lundi soir à l’âge de 90 ans. Il a succombé à une défaillance cardiaque à l’Hôpital de Verdun, entouré de sa compagne, la journaliste Brigitte Bougie, et de ses proches. Hommage à un acteur d’exception.

Dans son cas, l’expression « avoir marqué le paysage culturel » est un euphémisme. Durant plus de six décennies, Jacques Godin a donné vie à des centaines de personnages au théâtre, à la télévision et au cinéma. Il a tenu la vedette dans plusieurs séries et téléromans québécois, de Radisson aux Belles histoires des pays d’en haut, en passant par Septième Nord, Les forges du Saint-Maurice, Montréal P. Q., Sous le signe du lion et plus récemment Toute la vérité.

Or, c’est sa performance dans le rôle de Lennie dans Des souris et des hommes, en 1971, qui a marqué la mémoire. En effet, Jacques Godin était bouleversant dans la peau de cet homme fort et naïf, avec un âge mental de 5 ans, aux côtés d’Hubert Loiselle et de Luce Guilbeault, dans le grand téléthéâtre réalisé par Paul Blouin.

« C’était un géant de la scène et un partenaire de jeu rigoureux. Et aussi un travailleur acharné, une force de la nature, souligne Monique Miller. Un homme très en forme qui s’est entraîné toute sa vie. Il faisait de la musculation une à deux heures par jour », dit la comédienne qui lui a parlé le 14 septembre dernier, le jour des 90 ans de l’acteur.

Monique Miller a joué son amoureuse deux fois au petit écran : dans Septième Nord, et 30 ans plus tard dans Montréal P. Q. Ils ont aussi formé un couple dans la vie au milieu des années 1960. « Jacques était très discret hors de la scène, dit Mme Miller. Il n’était pas un grand parleur, sauf pour une cause qui lui tenait à cœur : la protection des animaux. »

Monique Miller aimerait bien que Radio-Canada (re)diffuse Septième Nord, un téléroman de Guy Dufresne qui n’a pas pris une ride selon elle. « On repasse tellement de niaiseries, je crois que le public d’aujourd’hui apprécierait. » Selon Mme Miller, la production télévisée du drame Des souris et des hommes, reste à ce jour inégalée. « C’est l’un des grands moments de l’histoire de la télévision au Québec, dit-elle. En grande partie grâce à l’interprétation touchante, inoubliable, de Jacques [Godin]. »

Une opinion que partage entièrement l’auteur Michel Tremblay. « C’est une (autre) immense perte, dit-il. Jacques Godin avait un physique imposant, un côté mâle dominant, mais son jeu était toujours d’une grande sensibilité. Il pouvait nous faire voir l’être humain à travers son interprétation des personnages, de tous ses personnages… même les méchants. »

Une nouvelle pièce en cadeau

L’auteur des Belles-Sœurs a d’ailleurs pensé à lui et Denise Filiatrault lorsqu’il a écrit, en juin dernier, une courte pièce de 30 minutes sur les personnes aînées durant l’actuelle pandémie. « Au milieu de la première vague du coronavirus, on parlait beaucoup du sort des aînés dans les CHSLD, sans leur donner la parole. J’ai donc écrit un texte sur un vieux couple, ensemble depuis 70 ans, qui sont séparés à cause du virus. » La femme rendra finalement visiter son mari, dans la pièce, en suivant les consignes sanitaires strictes.

Michel Tremblay ajoute que Jacques Godin a créé son premier texte pour la télévision, Trois petits tours, il y a 50 ans, en duo avec Denise Filitarault. « Je voulais donc leur offrir cette pièce en cadeau. Après le confinement, cela aurait été extraordinaire de pouvoir les réunir sur scène pour le réouverture des théâtres », se désole Tremblay.

En carrière, Jacques Godin a joué dans une soixantaine de pièces, autant des classiques que des créations québécoises. Il avait partagé la scène avec Denise Filiatrault, en 1975, dans Le Sea Horse. « Un beau succès qui nous a menés en tournée à travers le Canada », se souvient la comédienne à propos de la pièce mise en scène par Louis-Georges Carrier, au Théâtre Jean-Duceppe. « C’était un camarade de travail idéal, à la fois très généreux, à l’écoute et extrêmement discipliné, dit-elle. Avec un savoir-vivre, une délicatesse ; il se mêlait de ses affaires », dit-elle.

Un géant incompris

Autre moment marquant, son rendez-vous avec Mycroft Mixeudeim, « un personnage pur et naïf à la carrure de géant, incompris de son entourage », alter ego de Claude Gauvreau, dans La charge de l’orignal épormyable. Une production historique dirigée par André Brassard, au Théâtre de Quat'Sous, en 1989. D’ailleurs, Jacques Godin a reçu le Prix de la critique du meilleur acteur pour sa prestation, suivi d’un Gémeaux pour la version télévisée de la pièce de Gauvreau. Plus tard, Brassard l’a redirigé dans la création d’Impératif Présent, de Tremblay, en duo avec Robert Lalonde.

La directrice du Théâtre du Nouveau Monde (TNM), Lorraine Pintal, admire cet « acteur exceptionnel, à la riche et large palette », depuis son enfance. À la fin des années 1950, Mme Pintal le suivait dans les aventures de son coureur des bois dans Radisson à Radio-Canada. « Bien des années plus tard, j’ai eu la chance de le diriger derrière la caméra dans Montréal P. Q. Humble et rigoureux dans le travail, il était un partenaire de choix, un vrai camarade ». Elle le verra ensuite dans des productions au TNM sous sa gouverne, comme La vie est un songe, de Calderon, et Sainte-Jeanne des Abattoirs de Brecht. « Or, je crois que son rêve était de jouer le roi Lear avant de mourir. Un grand rôle pour couronner une grande carrière ! », dit-elle.

Au cinéma, en 1991, Jacques Godin a joué un inspecteur qui interroge un jeune prostitué qui s’accuse du meurtre de son amant, incarné par Roy Dupuis, dans Being at home with Claude. On se souvient aussi de lui dans Pouvoir intime d’Yves Simoneau, et Salut Victor ! d’Anne-Claie Poirier, entre autres rôles au grand écran. « Je le vois un peu comme notre Lino Ventura, notre Jean Gabin », avance Lorraine Pintal, qui lui trouvait un « charme fou ». « Finalement, Jacques Godin était un doux sous son corps de boxeur. »

De la délicatesse…

Sur les réseaux sociaux mardi, plusieurs de ses camarades du milieu culturel ont aussi souligné la gentillesse et la délicatesse du comédien disparu. Auprès des humains… comme des animaux. « Il suffisait de voir ses mains puissantes se poser sur le cou de ses gros chiens avec toute la délicatesse du monde, pour comprendre que sa défense des animaux était une conviction organique », a écrit sur Facebook Geneviève Lefebvre. La comédienne et auteure, qui a été sa voisine dans les années 1980, ajoute que « Jacques Godin n’avait pas besoin d’être brutal pour se faire obéir ».

De la douceur et du caractère, de la délicatesse et de l’autorité. C’est ainsi que Jacques Godin aimait vivre.