Après une pause de près de 15 ans, Vincent Graton remontera sur scène avec une grande joie mardi prochain. Le comédien est de la distribution de Ceux qui se sont évaporés au Théâtre d’Aujourd’hui. Il y joue un père troublé par la disparition de sa fille, partie sans laisser de traces pour refaire sa vie. Portrait d’un homme mûr aux idées jeunes.

Vincent Graton semble toujours en train de se réinventer. Il y a autant de facettes à sa personnalité que d’épisodes de L’auberge du chien noir, ce téléroman dont il a été l’une des vedettes durant 15 saisons. Il y a l’acteur que la caméra adore. L’homme de convictions et le militant passionné. L’organisateur hors pair. L’animateur d’émissions de variétés (les débuts des Kiwis et des hommes). Sans oublier le chum de France Beaudoin et le père aimant de quatre enfants.

Or, le Vincent Graton qui nous intéresse cette fois, c’est celui qui est tombé dans le théâtre petit. Très petit. Entre 1964 et 1976, sa tante Françoise Graton et son oncle Gilles Pelletier ont dirigé (avec Georges Groulx) la Nouvelle Compagnie théâtrale, en résidence au Gesù. Son père, Jean Graton, est gérant de la salle. Il laisse Vincent regarder les spectacles en coulisse. « Mon père, c’était tout un homme, se souvient le fils, avec une émotion qui illumine le bleu de ses yeux. Il m’a appris que les artistes sont les témoins de leur époque. Un matin en 1970, papa est revenu à la maison du Gesù après l’historique Nuit de la poésie. Il était tout ébranlé : “Ils ont hué Gauvreau !” », répétait-il. 

Plus tard, Vincent Graton sera placier dans la salle de la rue De Bleury, puis il aidera la compagnie à déménager dans l’est de la ville, au Théâtre Denise-Pelletier. « À l’époque, on ne trouve pas de théâtre dans Hochelaga-Maisonneuve. Pour Gilles et Françoise, ce déménagement était un geste politique, dans la tradition de Jean Vilar, afin de rendre le théâtre classique accessible au plus grand nombre », note Vincent Graton.

Sa trajectoire est tracée. Le jeune homme étudie en jeu au Conservatoire d’art dramatique. Déjà, en classe, son sang bouillant et sa fibre nationaliste lui causent des ennuis avec la direction.

Je voulais faire du théâtre de création, des textes québécois, mais la formation du Conservatoire était axée uniquement sur les grands classiques. Le directeur m’a dit : “Si t’es pas content, va t’inscrire à l’École nationale.” J’étais furieux !

Vincent Graton

Une fois devenu professionnel, Vincent Graton mettra plusieurs années à se débarrasser de son emploi de jeune premier. « À mon regret, parce que le jeune premier, c’est le beau gosse qu’on associe souvent à un interprète sans caractère ni envergure, explique-t-il. Or, au fond de moi, je savais que je pouvais faire autre chose que des bons gars ou des maris gentils. Ce que j’aime avec ce métier, c’est de pouvoir puiser dans les méandres de l’être humain en incarnant des personnages complexes, mystérieux. Parce que dans la vie, on n’est pas juste une affaire. »

Pas juste de la radio

À 60 ans, Vincent Graton refuse de « s’encroûter » dans son expérience. Il aime discuter avec des gens de tous les âges et qui ne pensent pas comme lui. « J’aime ça lorsque qu’un gars ou une fille de 20 ans me brasse et joue du coude, me bouscule dans mes certitudes », illustre-t-il.

Parmi ses multiples facettes, il y a la grande gueule qui donne son opinion sur l’actualité. Le commentateur qu’on a entendu à la radio durant trois saisons, en tandem avec Marie Grégoire, au micro d’Alain Gravel. « Cette expérience a beaucoup nourri l’acteur, dit-il en rétrospective. Chaque matin, je devais trouver un angle pour aborder et communiquer mon sujet aux auditeurs. Un acteur, c’est aussi un communicateur. De plus, j’ai eu le loisir d’observer une galerie de personnages fascinants ! Des analystes, des recherchistes, des politiciens… Je découvrais tout ce beau monde médiatique en studio. Si vous pensez qu’il y a de gros ego dans le milieu du théâtre, attendez un instant… ce n’est jamais comme les journalistes et les politiciens ! [rires] »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Lancement de saison au Théâtre d’Aujourd’hui en mai 2019. Avec Guillaume Corbeil, Émile Proulx-Cloutier, Anaïs Barbeau-Lavalette, Anne-Marie Olivier, Edith Patenaude, Sylvain Bélanger, directeur artistique, et Vincent Graton.

En répétition avec Vincent

Petit matin de tempête au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui à Montréal. Les acteurs ont laissé leurs bottes humides et leurs lourds manteaux à l’entrée de la salle de répétitions. Le metteur en scène, Sylvain Bélanger, discute de la pièce avec les comédiens. « J’ai fait appel à une gang d’interprètes intergénérationnels. Des acteurs qui n’ont jamais joué ensemble sur notre plateau, dit Bélanger. La cadette, Éléonore Loiselle, a 19 ans et l’aînée, Élisabeth Chouvalidzé, a 83 ans. Entre les deux, on trouve aussi Geneviève Boivin-Roussy, Josée Deschênes, Reda Guerinik, Maxime Robin, Tatiana Zinga Botao… »

Après 14 ans loin du théâtre, Graton retrouve « avec une grande joie » ses camarades en salle de répétitions. Et le bonheur de créer une œuvre qui aborde des enjeux actuels. « Si l’on m’avait appelé pour jouer dans un Racine ou un Molière, j’aurais dit non ! », s’esclaffe-t-il.

Le comédien est heureux de créer ce texte de la jeune autrice Rébecca Déraspe, au style original et aux tonalités différentes. « Sa pièce témoigne d’une réalité de notre époque, dit-il. À travers la disparition d’une jeune femme, Ceux qui se sont évaporés aborde des questions dans l’air du temps. Elle fait écho à plusieurs disparitions possibles dans le monde – celle des gens, des espèces, du territoire, des continents, voire de l’humanité comme on l’a connue. »

Vincent Graton est aussi ravi de jouer au Théâtre d’Aujourd’hui. Ça lui rappelle ses débuts au Nouveau Théâtre expérimental. Avant l’entrevue, le comédien a jeté un coup d’œil à la salle en plein montage. « Les sièges sont collés sur la scène. J’adore cette relation intime avec le public, voir les spectateurs, les sentir respirer… J’ai toujours eu de la difficulté avec la projection au théâtre. »

Temps présent

Si Vincent Graton fait partie d’une grande famille de théâtre (en plus de ses aïeux, sa filleule est la comédienne Rachel Graton), le comédien a un rapport amour-haine avec cet art : « J’ai parfois vécu des expériences assez pénibles dans des productions », confie-t-il. 

Or, l’interprète tenait mordicus à remonter sur les planches. Selon lui, à l’ère du numérique, le théâtre est l’un des derniers bastions de la liberté citoyenne. « Pendant deux heures, tu n’as pas accès à ton téléphone ni à tes écrans, tes réseaux. Tu acceptes d’être avec des inconnus dans un espace clos, en silence, à l’écoute de la parole de l’autre, pour vivre une expérience ensemble. Car c’est important d’être présent à l’autre ; c’est la base du théâtre. »

Au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, du 3 au 28 mars

Vincent Graton en cinq dates

13 mai 1959 : Naissance à Saint-Laurent

1995 : Les années. Il joue aux côtés de Marina Orsini dans cette pièce de Cyndy Lou Johnson, au Théâtre de Quat’Sous. 

2001-2002 : La vie, la vie. Dans la télésérie culte écrite par Stéphane Bourguignon, il joue Jacques, un personnage gai ouvert avec ses proches. 

2016-2017 : Il est Gabriel Simon dans Au secours de Béatrice (TVA). 

De 2018 à maintenant : Ronald Blanchette dans Une autre histoire (ICI Radio-Canada Télé).