C’est l’histoire de quatre amis qui s’amusent sur un carré rose, une sorte de moquette qui fait office de terrain de jeu. Tout va pour le mieux jusqu’au jour où ils apprennent, à leur plus grande stupéfaction, que le rose, c’est… pour les filles, et seulement pour les filles. S’ensuit une série de réflexions, à la fois naïves et éclairées, stéréotypées et émancipées, sur l’identité en général, et l’identité de genre en particulier.

« Rouge pâle, c’est une couleur de gars ça ? », « avoir faim, c’est une affaire de gars ça ? », « oublie ça les paillettes, OK ? ».

Si le théâtre jeunesse s’attaque de plus en plus à une foule de thématiques délicates (qu’on pense ici à la migration, au deuil, à l’intimité), Le problème avec le rose, une coproduction franco-québécoise présentée ces jours-ci à la Maison Théâtre, est, sauf erreur, l’une des premières créations pour jeune public à s’attaquer à cette très actuelle question de l’identité de genre. Enjeux de conformité, d’authenticité et de liberté en prime. Le tout amené avec doigté et sensibilité.

Out les paillettes, donc, « ark » les licornes, place aux jeux de pilotes ou, mieux, de gladiateurs. Qu’importe si, au fond, on aime mieux ces paillettes, non ? Peut-être bien que non, justement…

PHOTO FOURNIE PAR LA MAISON THÉÂTRE

J’avais envie de parler de ce qu’on impose aux enfants dès le plus jeune âge, et de ce qu’ils s’imposent eux-mêmes. Par opposition à la liberté de faire absolument tout. Ça me préoccupe beaucoup, étant moi-même maman d’une toute petite fille.

Érika Tremblay-Roy, autrice et metteuse en scène de la pièce, directrice artistique du Petit Théâtre de Sherbrooke

Ce n’est pas forcément subtil, mais ça a le mérite de soulever des questions de fond : est-ce qu’une fille doit absolument jouer aux princesses ? Et si ça l’ennuie ? Et si un garçon aime les paillettes, quant à lui ? Qu’est-ce que ça fait ? Surtout : qui s’en soucie ?

On comprend que la pièce, qui s’adresse aux jeunes de 6 à 12 ans, offre plusieurs niveaux de lecture. C’est pensé et c’est voulu.

C’est ainsi que les quatre amis (en l’occurrence Alix, Sasha, Lou et Noa, des prénoms volontairement neutres, ou mixtes, au choix) perdent, en apprenant le stupéfiant statut du rose, leur liberté d’inventer des histoires. Ou leur liberté de s’inventer tout court. Au choix, toujours.

« Quand on s’assume, qu’on est bien dans sa peau, on peut rêver sa vie comme on veut », propose l’autrice, dont le texte a été publié et traduit l’an dernier, chez Lansman jeunesse.

Le sujet du questionnement sur le genre demeure toutefois en filigrane. Et à nouveau, c’est voulu. « Les enfants qui se questionnent sur leur genre sont minoritaires, je n’avais pas envie d’écrire une histoire qui se passe dans un petit segment marginal, précise l’autrice, mais plutôt d’aborder la question plus largement : les filles, les gars, et les parents, qu’est-ce qu’on s’impose ? » Pourquoi, et au nom de quoi ? Quant à ceux qui se questionnent réellement, ils se reconnaîtront clairement en cette Noa incapable de « faire » des « affaires de fille » simplement parce qu’elle est apparemment « une fille ».

Il faut savoir que la pièce, ici jouée et dansée, a été écrite et chorégraphiée en même temps. Les interprètes jouent, se questionnent, dansent, dans l’ordre et le désordre. Et parlant de danse : est-ce que tout le monde peut danser ? Alexandre Tondolo, le Sasha de la pièce et danseur de profession, a son idée sur la question. « Moi, j’étais le seul garçon [à m’y intéresser], et c’est dommage, je n’avais pas d’ami avec qui parler de tout ça, dit-il. Ce sujet me tient à cœur, parce qu’encore aujourd’hui, je suis entouré de personnes qui n’osent pas s’assumer. » Mais au fond, qui se soucie vraiment qu’un garçon joue au gladiateur ou au danseur ?

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« En fait, on s’en fout, poursuit-il. Fais ce que tu aimes, comme tu l’aimes. Si tu t’assumes, ça se passe plus facilement que si tu laisses l’opportunité ou l’espace aux gens de te juger. » C’est d’ailleurs la morale de la pièce. Oser s’affirmer. Être soi-même. Dans ses jeux. Ses intérêts. Et son identité. « C’est sûr qu’on ne prétend pas, avec un spectacle, faire avancer tout ça, reprend l’autrice, mais si on peut faire tomber au moins une barrière chez un individu, ce sera déjà pas si pire ! »

Le problème avec le rose, coproduction franco-québécoise, théâtre-danse, du Petit Théâtre de Sherbrooke et La Parenthèse, est présentée à la Maison Théâtre jusqu’au 16 février.

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Le spectacle est aussi en tournée entre la France et le Québec dans les prochaines semaines, tournée qui prendra fin à Avignon cet été. 

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