Le comédien Dany Boudreault, qui est aussi l’auteur des pièces Je suis Cobain (peu importe), (e) un genre d’épopée ou encore Après la peur, nous revient en force ce mois-ci avec un texte à la fois dense et poétique, qui aborde avec une certaine audace les thèmes de la sexualité et du désir, mais avec la tension constante entre ce qui est dit et ce qui ne l’est pas. Tout cela sur fond de guerre, quelque part en Arctique, dans un avenir pas si lointain.

La pièce s’ouvre sur le personnage de Lili, interprété par Julie Le Breton, actrice et réalisatrice de films pornos.

La scène de sexe qu’elle tourne en lever de rideau (Corps célestes est le titre du film) nous est transmise en mode audio, tandis que le spectateur est plongé dans le noir. Un procédé extrêmement efficace, que la metteuse en scène Édith Patenaude répète d’ailleurs avec succès dans d’autres scènes. Une façon habile de mettre les mots de l’avant.

Bref, Lili reçoit un message de sa sœur Flo, qu’elle n’a pas vue depuis 15 ans et qui lui demande de retourner dans la maison familiale. Ce qu’elle fait (à reculons).

C’est là que le huis clos familial se jouera. Dans cette maison perdue au fond des bois où l’on entend gronder les avions militaires. Avec Flo (Évelyne Rompré), son chum James (Brett Donahue) – qui a souffert d’un stress post-traumatique –, leur garçon de 15 ans, Isaac, (Gabriel Favreau) – assoiffé de savoir et de liberté – et la mère des deux sœurs (Louise Laprade), immobilisée dans un fauteuil roulant depuis le départ de Lili.

PHOTO FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Dans tout ce manège, le spectateur doit s’abandonner à la fantaisie de l’auteur, qui nous immerge dans un monde dystopique en perte d’humanité et de désirs.

L’arrivée de Lili (Hélène, de son vrai nom) allumera tous les témoins lumineux de cette famille éteinte et souffrante. Libre et sexuellement épanouie, Lili provoquera chez chacun des personnages (en mal de sensations) une espèce d’électrochoc qui les mènera tantôt à la vie, tantôt à la mort.

Cette dynamique-là entre Lili et les autres personnages de Corps célestes est très bien servie par le texte et la mise en scène, où l’on nous présente les différents tableaux familiaux comme des scènes de films. On assiste aussi à de nombreux duos, d’abord entre les deux sœurs, puis entre Lili et James, Lili et Isaac, mais aussi Flo et James, Flo et Isaac, James et Isaac. Sans oublier la maman des filles…

Dans tout ce manège, le spectateur doit s’abandonner à la fantaisie de l’auteur, qui nous immerge dans un monde dystopique en perte d’humanité et de désirs. Il y a donc un petit effort à faire pour se « laisser haller » (comme dirait Jean Leloup) dans cet univers-là.

Les cinq acteurs jouent tous très bien leur partition. On ne vous cachera pas que le niveau de langage du personnage de Flo est difficile à expliquer. Un français soutenu forcé, volontairement, il va sans dire, mais pourquoi au juste ? Voilà un choix qui est plus irritant qu’autre chose. D’autant plus qu’Évelyne Rompré joue parfaitement le rôle de la sœur de l’ombre, restée auprès de sa mère, qui a fini par réprimer ses désirs et sa joie de vivre.

Julie Le Breton défend très bien le personnage de Lili, qui se trouve rehaussé, justement, dans ses interactions avec Flo, James (très bon Brett Donahue), mais surtout avec le jeune Isaac (Gabriel Favreau). Avec un jeu très astucieux de rideaux qui délimite les espaces de jeu.

Il faut bien le dire, Gabriel Favreau a une présence très forte sur scène. Son personnage d’assoiffé, disions-nous plus haut, est aussi par moments un tantinet irritant dans ses excès, même si on comprend que c’est dans la nature de son personnage, rampant, presque nu, à la recherche de sensations. Méprisant les hommes, il se tournera vers les femmes, qui sont pourtant, de l’aveu même de Lili, meilleures actrices… Enfin, il y a là sujet à débat.

Finalement, la dernière scène de la mère (nous ne divulgâcherons rien) est un peu surprenante, mais au théâtre tout est permis, et c’est très bien comme ça.

Malgré quelques imperfections, on apprécie ce texte touffu de Dany Boudreault qui ouvre plusieurs portes sur ces thèmes inépuisables de la sexualité et du désir, de ce qui est moral aussi, tout cela dans une mise en scène qui parvient à créer un certain suspense, où l’on sent que tout peut s’écrouler à tout moment, vu cette ambiance de fin du monde.

Cette tension-là nous offre du théâtre contemporain intense, qui vaut son pesant d’or.

★★★½

Corps célestes, de Dany Boudreault. Mise en scène Édith Patenaude. Avec, entre autres, Julie Le Breton, Évelyne Rompré, Gabriel Favreau. Au Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 15 février.