La femme qui est devant vous a besoin de parler. Visiblement. Comme si les mots lui servaient de bouée pour la sauver du naufrage de sa vie. Cette vie qu’on lui a volée au beau milieu.

Cette femme, c’est l’héroïne sans nom et l’unique personnage de la pièce Les filles et les garçons, du Britannique Dennis Kelly, mise en scène avec économie et efficacité par Denis Bernard. La production — un peu longue, mais bouleversante — du Théâtre de la Manufacture marque avec éclat la rentrée de La Licorne.

À première vue, cette femme pleine d’énergie n’a pas l’air d’une victime du tout. Seule sur scène, bien coiffée, bien vêtue, elle est rayonnante, confiante, drôle. Elle aborde le public avec aplomb, sur le ton de la conversation, comme si nous faisions partie de son cercle de connaissances.

Remplir le vide

Pendant plus d’une heure, cette femme se dévoile, livrant pêle-mêle des pans de son histoire personnelle. Ses voyages, ses excès de jeunesse (sa période « alcool, poudre et baise »), puis la rencontre avec son mari, son couple, ses deux enfants, son travail de productrice de documentaires… Elle parle et parle sans dessein précis, sauf celui de remplir le vide. Un manque qu’on imagine immense derrière le flot de ses mots. 

Et puis son monologue, qui s’étire un peu longuement et nous éloigne de sa blessure, va soudainement changer de ton. Il bascule d’abord dans une violence ordinaire, avec les problèmes vécus au foyer, le mari qui fait une dépression, avant de s’enfoncer dans l’horreur.

La femme nous raconte alors, avec la voix détachée de ceux qui reviennent de très loin, sa tragédie.

Ce drame est le sien, mais aussi celui de bien des femmes ordinaires. Il nous fait penser à ces histoires de terreur au quotidien qui nourrissent l’actualité et les faits divers. C’est le drame de la terreur intime, de l’injustice du plus fort sur le plus faible qui se répète, hélas, depuis la nuit des temps. Et brise tant de vies. 

Alors, pour empêcher l’histoire de se répéter, il faut raconter cette violence impitoyable… et écouter celle qui l’a subie. 

Une performance époustouflante !

Pour son premier solo au théâtre, Marilyn Castonguay livre ici une performance époustouflante ! La comédienne porte ce texte exigeant comme un bijou précieux. Elle joue seule durant près de deux heures, sans quitter la scène, ce personnage résilient et attachant. L’actrice a une livraison qui fait penser un peu à celle de Guylaine Tremblay. Cette dernière jouera aussi un solo à La Licorne, au printemps prochain… Comme quoi, les astres ont le don d’aligner le talent au même endroit.

Notons que Les filles et les garçons est traduite par Fanny Britt. L’autrice, qui en est à sa cinquième traduction d’une œuvre de Dennis Kelly (Après la fin, Orphelins…), sait faire résonner chaque mot du texte. Finalement, la belle musique de Fanny Bloom enveloppe cette partition avec finesse. À voir !

★★★½

Les filles et les garçons. De Dennis Kelly. Mise en scène de Denis Bernard. Avec Marilyn Castonguay. À La Licorne, jusqu’au 22 février.

> Consultez la page de la pièce : https://theatrelalicorne.com/lic_pieces/les-filles-et-les-garcons/