L’auteure et comédienne Sonia Cordeau (Like-moi !, Les Appendices) participera à une discussion publique organisée dimanche par la revue JEU, dans le cadre du Salon du livre de Montréal, sur le thème « Peut-on rire de tout au théâtre ? ». Avec sa complice de la compagnie de théâtre Le Projet Bocal, Raphaëlle Lalande, elle vient de faire paraître l’album de Noël de Joli-Bois, Vert Forêt, qui sera présenté en spectacle les 19, 20 et 21 décembre à La Licorne.

Marc Cassivi : Est-ce qu’on peut rire de tout au théâtre ?

Sonia Cordeau : C’est une drôle de question ! Au théâtre, on peut pas mal tout faire, parce que de toute façon, personne n’en parle.

Parce qu’au théâtre, on prêche les convertis ?

Ça ne fait pas de vagues comme un show de Mike Ward ! On considère que le théâtre est inoffensif. Ça reste obscur, dans la boîte noire qu’est le théâtre.

Est-ce que tu envisages autrement une création pour le Projet Bocal qu’un sketch pour la télé, pour Le Show de Rousseau, par exemple ?

Honnêtement, non. Je ne pense pas à si ce sera plus ou moins vu.

Tu ne crois pas que tu as une liberté plus grande au théâtre ?

Oui, il y a une plus grande liberté ! On peut parler de choses plus nichées ou pointues sans se faire dire : « Ben là, les gens ne comprendront pas ! » J’ai aussi connu beaucoup de liberté à la télé aux Appendices [dont elle était coscénariste]. Je fais des petits shows bizarres, un peu partout.

Sauf Le Show de Rousseau, qui était plus grand public. Tu as vu les limites de ce que tu pouvais faire dans un cadre comme celui-là ?

Sans cesse. Je me suis rendu compte que je ne suis pas toujours capable de modeler mon humour à celui des autres. Faire semblant de rire de quelque chose, j’ai de la misère avec ça. Ça paraît dans ma face ! Il fallait tellement que je joue à trouver ça drôle que j’en étais fatiguée.

C’était trop loin de ton univers…

Vraiment. De la chronique en tant que moi-même, je ne veux plus en faire. Je suis une auteure et une comédienne. Si on me voit trop dire ce que je pense, ça me rend inconfortable. Entendre mon nom, comme au Show de Rousseau, je trouve ça bizarre.

Est-ce que le théâtre est un meilleur véhicule pour ton humour ?

Je trouve que oui. Ce que j’aime particulièrement de l’humour au théâtre, c’est qu’il côtoie le drame. Plus que dans le stand-up. C’est ce qu’on fait souvent avec Le Projet Bocal : on ouvre les cœurs avec les rires, on détend le public, puis on arrive avec quelque chose de plus sensible, avec ce que j’aime appeler des sentiments raffinés. C’est ce qu’on aime créer parce que ça nous fait rire. Mais j’aimerais aussi jouer dans plus de drames. Je ne veux pas qu’on me mette dans une case, comme celle de l’humour. C’est pour ça aussi que je fais de la musique qui n’est pas drôle !

Spontanément, on aurait pu penser que tu ferais un album de Noël comique avec Joli-Bois. Un peu comme les chansons des Appendices ou Chantal Lamarre qui fait aussi en duo des chansons de Noël [Les Galipeau’s]. Mais ce n’est pas du tout ça. C’est du folk-pop.

C’est de la musique qui vient du cœur, tout en simplicité. On est des autodidactes, Raphaëlle et moi. On a appris qu’on savait chanter au Conservatoire. On a un bon instinct, on a une bonne oreille. On travaille beaucoup les textes. C’est un album d’hiver, dans la veine de Maryse Letarte. On voulait amener notre touche au grand répertoire des chansons de Noël, qu’on trouve un peu trop heureux ! Des fois, je suis fatiguée d’être drôle. C’est ça aussi, Joli-Bois.

Parlant de duos, est-ce que le projet de série avec Guy et René [Les rois de la Main], vos personnages des Appendices à Anne-Élisabeth [Bossé] et toi, est toujours vivant ?

C’est un grand combat de ma vie ! Je ne vise plus la télévision. Je suis un peu découragée par la télé. On n’y a pas accès ou presque, les créateurs. La télévision a tellement de difficulté à donner leur chance à de nouveaux auteurs. Les auteurs de téléromans sont presque toujours les mêmes. Il ne pourrait pas y avoir un roulement ? Je suis sûre qu’il y a de jeunes auteurs qui pourraient amener le téléroman ailleurs. Les rois de la Main, c’est rendu un long métrage avec un tout petit budget, tourné à peu près comme Les Appendices. C’est comme un faux documentaire de l’ONF. C’est La bête lumineuse ! [Rires]

Ce sont des personnages fabuleux…

Ils sont touchants, au-delà de l’humour. J’ai un attachement très grand à Michel Tremblay. C’est grâce à lui que je fais ça. Les jeunes ne savent pas c’est qui, Françoise Durocher, mais ce n’est pas grave. Certains ne connaissent pas Michel Tremblay. Mais ils sont quand même touchés par les personnages. Et si ça peut les inspirer à vouloir en savoir plus sur Tremblay ?

On ne te verra pas faire un one-woman show de sitôt ?

Non. C’est drôle parce que c’est ce que j’enseigne à l’École de l’humour. J’accompagne les étudiants dans l’écriture. J’adore ça, voir leur évolution. J’essaie de les guider comme je peux. Je pense que certains humoristes deviennent fous à vouloir des rires…

Il y a une mécanique qui s’installe. Le rire devient une gratification instantanée.

Certains ont l’impression de ne pas exister sans ça. Ça ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse, c’est de décortiquer la mathématique de la blague et du jeu, pour arriver à faire rire. Mais dans ma création, je préfère les dialogues. Être seule sur scène, je n’ai pas cette drive-là. Souvent [elle hésite]… les humoristes se contentent de peu. Ou ils donnent l’impression de se contenter de peu. Ils ne cherchent pas à aller plus loin. Plusieurs sont drôles, mais souvent, je me demande ce qu’ils essaient de nous dire. Et parfois, ils ne sont juste pas drôles !