Cet été, des artistes plongent dans leurs souvenirs pour analyser leur première œuvre professionnelle et nous raconter les souvenirs qui remontent en eux. Aujourd’hui : Michel Marc Bouchard.

Certains amateurs de théâtre ont vu éclore le talent de Michel Marc Bouchard en assistant à La contre-nature de Chrysippe Tanguay, écologiste, à Ottawa, en 1980. D’autres se souviennent de la première montréalaise des Feluettes, sept ans plus tard. Pourtant, quand on questionne le dramaturge sur sa mise au monde artistique, il remonte encore plus loin, à l’époque de ses études — en tourisme ! — au cégep de Matane à la fin des années 70.

L’homme de théâtre affirme que la première de sa pièce Dans les bras de Morphée Tanguay a été un choc à l’époque. « J’avais l’impression pour la première fois de parler aux gens et qu’il y avait une communion entre ma vision du monde et le public. »

Alors âgé de 18 ans, il a découvert le sens du théâtre. 

« C’est l’un des derniers lieux de philosophie et de sociologie où les gens sont dans l’agora, dans le noir, pour entendre une parole et se questionner tant sur la nature de l’être humain que sur rôle dans la cité. »

« À travers ce questionnement, on a l’impression qu’on fait presque un pont entre la salle et la scène », ajoute Michel Marc Bouchard.

Quelques années plus tard, l’Université d’Ottawa a souligné son talent pour l’écriture. Pour la première fois, le département de théâtre a monté le texte d’un étudiant comme exercice final : La contre-nature de Chrysippe Tanguay, écologiste, une pièce qu’Yves Desgagnés a ensuite montée à l’Atelier du Centre national des arts, avant qu’André Brassard le fasse à Montréal.

Le critique du Devoir Robert Lévesque en avait fait l’un des événements de l’année, mais son auteur vivait le succès à distance. Pendant des années, Michel Marc Bouchard a joué, animé et enseigné dans la capitale nationale. « C’était des boulots alimentaires. Je travaillais comme un malade ! »

PHOTO FOURNIE PAR MICHEL MARC BOUCHARD

Michel Marc Bouchard à l’âge de 23 ans

Toutefois, il n’était pas habité par le besoin urgent de percer à Montréal. « Mes pièces sont arrivées à Montréal avant moi. Je ne connaissais pas le milieu théâtral d’ici. Au début, j’ai travaillé avec André Brassard en sachant qui il était, mais pas ce qu’il représentait. »

Le « choc » Les Feluettes

Sa vie a toutefois pris une nouvelle dimension avec le succès des Feluettes : sa carrière a explosé et sa famille a vu pour la première fois son travail. « Mes parents sont venus voir la pièce à Montréal et le reste de ma famille l’a vue à Québec. C’était là, le plus grand choc entre mon œuvre personnelle et le monde d’où j’étais issu. »

Le dramaturge explique que ses parents ont eu le sentiment d’assister à un combat de boxe, avec leur fils dans le ring. « D’une part, ils ne savaient pas ce que j’avais emprunté à notre vie. Puis, ils craignaient pour moi. Ils observaient le public, analysaient quand les gens riaient, s’ils aimaient ça. Ils étaient sur le qui-vive. »

Le lendemain matin, l’auteur a eu droit à une question percutante de sa mère. « Elle m’a demandé pourquoi Vallier, l’un des personnages principaux des Feluettes, tue sa mère. J’ai répondu que c’était une symbolique empruntée aux Japonais qui croient que pour passer à un autre âge, il faut symboliquement tuer nos prédécesseurs. Elle a dit : “Non, c’est pas ça, la question. La question, c’est : pourquoi tu m’as tuée ?” Il a fallu entrer dans une discussion un peu longue… »

En plus d’apprendre à composer avec les réactions de ses proches, l’auteur a appris à abandonner ses œuvres aux metteurs en scène. Un geste douloureux, alors qu’il avait l’habitude de monter ses propres textes. 

« Là, je devenais juste l’auteur. L’œuvre se montait malgré moi. Quand j’allais en salle de répétition, j’avais toujours l’impression que j’allais être blessé. »

Cependant, plus il entendait ses mots interprétés et dirigés par autrui, plus il découvrait de nouvelles couches de sens à ses propres œuvres. Un phénomène d’autant plus vrai lorsque le public entrait en salle. « Durant les répétitions, on a une forme assez finie, mais il manque une partie qui sera sculptée par le public. J’aime qu’il prenne sa place. Il va déterminer certains rythmes. Grâce à lui, je vais enlever des blagues ou des passages de texte. »

Il refuse toutefois de réécrire entièrement ses plus anciennes œuvres avec le bagage acquis au fil du temps. Même celles qui continuent d’être jouées partout dans le monde, comme Les Feluettes. « Je dois respecter le jeune homme qui l’a écrite. J’étais rendu là, à ce moment-là, sur les relations amoureuses, sur un certain romantisme, une forme de candeur et de tragédie. Chaque fois que je la vois, il y a deux ou trois passages que j’ai hâte de voir derrière moi, car je ne les trouve pas bons. Mais pour le reste, je suis capable de me perdre dans la beauté de certaines choses. »