SOIFS, l’impressionnant cycle romanesque de Marie-Claire Blais, est une œuvre monumentale qu’on imagine mal résonner au théâtre. Cette écriture abondante, haletante, déferle sur notre ineffable condition humaine, comme la mer en allée. Il y a quelque chose de proustien dans ce souffle inépuisable, unique, et purement littéraire.

Et pourtant, ce beau fouillis de mots, sans chapitres ni paragraphes, avec pratiquement pas de ponctuation fait l’objet d’un spectacle-fleuve, SOIFS Matériaux, créé au FTA le week-end dernier, et dans lequel la musique de l’auteure devient, par moments, presque palpable.

Voilà donc un travail colossal, mené par deux passionnés érudits : les directeurs artistiques d’UBU, Denis Marleau et Stéphanie Jasmin. Le couple a toujours cru au potentiel théâtral de SOIFS. Il a transposé son écriture romanesque sans modifier la langue. Le résultat donne un spectacle exigeant de quatre heures, porté avec conviction par une distribution inégale de 22 interprètes (dont des grosses pointures comme Emmanuel Schwartz et Dominique Quesnel), traversé par des moments de grâce, malgré d’inévitables longueurs.

Le déclin de l’empire américain

SOIFS Matériaux se concentre sur le premier tome de la saga, publié en 1995. Le « récit » est foisonnant. Il aborde, à travers une mosaïque de personnages, le manque de compassion de nos contemporains. L’action se déroule à Key West, en Floride (où Mme Blais vit depuis environ 40 ans). Or, le lieu reste un décor impressionniste où la romancière campe le long déclin d’une civilisation (nord-américaine) et d’une époque (la fin du XXe siècle).

Le spectacle nous amène aux portes de l’enfer, sur fond de racisme, de sida et de violence chronique répandue aux États-Unis. La scène où l’on reproduit (sur scène et à l’écran) le délire du jeune suprémaciste blanc, auteur de la tuerie de masse dans une église de Charleston, vaut à elle seule le détour !

PHOTO YANICK MACDONALD, TIRÉE DU COMPTE FACEBOOK DU FTA

Lyndz Dantiste dans SOIFS Matériaux

Une mise en scène soignée

La production rend bien la respiration unique de SOIFS, son fabuleux pouvoir d’évocation, grâce à la mise en scène de Jasmin et Marleau.

Leur ingénieuse scénographie s’appuie sur des projections et des images au ralenti qui épousent le jeu langoureux des comédiens tout de blanc vêtus.

Les personnages vont et viennent, côté cour, côté jardin, sans ponctuer leurs répliques.

L’action se déroule à la fois à l’avant-scène et sur un tréteau en hauteur, alors qu’en arrière-plan, des convives assistent à une fête, en compagnie de musiciens live, dont un quatuor à cordes qui interprète Bach, Schubert, Mozart, entre autres musiques. Tout est musique chez Blais comme chez UBU.

PHOTO YANICK MACDONALD, TIRÉE DU COMPTE FACEBOOK DU FTA

Monique Spaziani dans SOIFS Matériaux

On sent l’atmosphère tropicale de Key West avec, en toile de fond, la mer, les jardins, les balcons aux motifs de pain d’épices et, surtout, la belle lumière qui flamboie au couchant. Il y a des accents durassiens dans cette soirée mondaine qui rappelle celle d’India Song. Dante et sa Divine Comédie, Kafka et ses monstres humains, Bosch et son Jardin des délices… Les références artistiques abondent dans SOIFS Matériaux.

Si la pièce aborde les ténèbres, c’est pour mieux illustrer notre soif de lumière, notre besoin de joie pour cautériser nos blessures. Car sans espoir, on n’est rien du tout.

Présenté à guichets fermés au FTA, SOIFS Matériaux sera repris la saison prochaine, du 24 janvier au 16 février 2020, au Théâtre Espace GO. Les billets sont en vente maintenant.

Consultez le site de l'Espace GO : https://espacego.com/