Le collectif allemand Rimini Protokoli, qui a créé l’étonnant 100 % Montréal il y a deux ans, est de retour cette année avec une pièce documentaire sur les héritiers de la révolution cubaine. Entrevue avec la Havanaise Yohayna Hernández, qui a participé à l’élaboration du spectacle.

L’histoire commence par une résidence d’artiste du metteur en scène suisse allemand Stefan Kaegi à La Havane. Une invitation du Laboratoire scénique d’expérimentation sociale mené par Yohayna Hernández, intéressée par l’approche documentaire de l’artiste.

« Au départ, Stefan a rencontré des Cubains qui ont participé à la révolution, nous raconte la dramaturge cubaine, de passage à Montréal. On avait identifié une quinzaine de personnes, pour la plupart des octogénaires. Mais à mesure qu’il avançait dans sa recherche, l’idée d’un dialogue intergénérationnel s’est imposée. »

À partir de ce moment-là, la recherche de Stefan Kaegi s’est élargie de manière à inclure les petits-enfants de ces révolutionnaires.

« Il y a beaucoup de contradictions entre la génération de nos grands-parents, qui a fait la révolution, et les jeunes Cubains qui ont aujourd’hui entre 20 et 35 ans. En même temps, il y a une admiration [de ces jeunes] pour le passé épique de cette génération-là. »

Granma. Trombones de La Havane, clin d’œil au bateau (le Granma) dans lequel se trouvaient les révolutionnaires cubains qui ont renversé le président Batista, s’est ainsi construit à partir d’une trentaine d’entrevues faites auprès de ces deux générations de Cubains.

Concrètement, quatre jeunes interprètes cubains dans la vingtaine (qui ne sont pas des acteurs professionnels) seront sur scène pour raconter leur histoire. Ils dialogueront virtuellement avec leurs grands-parents, dont les témoignages, filmés, seront projetés sur un écran, entrecoupés d’images et de vidéos d’archives.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Yohayna Hernández a participé à l’élaboration de Granma. Trombones de La Havane.

La question que posent les créateurs de la pièce : ces jeunes Cubains seront-ils les gardiens ou les fossoyeurs de cet héritage révolutionnaire ?

L’utopie des Anciens

Au fil des entrevues, Yohayna Hernández a quand même été surprise de voir à quel point ces Cubains octogénaires étaient attachés à la révolution.

« Ils n’ont pas de regard critique, a-t-elle constaté. La révolution a défini leur jeunesse et, même s’ils reconnaissent qu’il y a quelques problèmes, ils ne voient pas d’autre voie que celle qu’ils ont tracée. En même temps, ils ont mis leur vie privée de côté pour défendre une utopie collective, et ça, c’est intéressant. »

Les jeunes, eux, on s’en doute, ont un tout autre point de vue, même s’ils ont grandi avec toutes ces histoires et tous ces héros nationaux.

« Il y a trois groupes. Il y a ceux qui ont décidé de quitter le pays. Il y en a qui voudraient révolutionner la révolution, mettre en place un régime socialiste plus démocratique, où la critique est tolérée. Et enfin, il y a une nouvelle classe d’entrepreneurs qui fait la promotion du capitalisme. »

Les quatre interprètes qui seront sur scène ponctueront leurs dialogues (entre eux et avec leurs grands-parents) de quelques airs joués au trombone.

« C’est un instrument qui est très présent dans les cérémonies militaires, précise Yohayna Hernández, qui a fait équipe avec le scénariste allemand Aljoscha Begrich. On trouvait donc ça intéressant de voir les quatre interprètes jouer de cet instrument très épique, qui n’est pas non plus un cliché de la musique cubaine. »

Le plus étonnant est que les interprètes de Granma ont appris à jouer du trombone pendant le processus créatif. C’est Diana Osumy Sainz, qui fait partie de la distribution, qui le leur a appris.

« C’est un peu une métaphore des microbrigades cubaines, formées de gens qui n’étaient pas spécialisés dans le domaine de la construction, mais qui étaient réunis pour bâtir des maisons [typiques des années 70]. De la même manière, ces quatre acteurs non professionnels, qui ne font pas de musique, ont appris à jouer et à faire de la musique. »

Comme quoi, malgré leur désir de changement, les jeunes sont encore capables d’avoir des projets communs, et peut-être même des utopies.

Au Monument-National, du 28 au 30 mai.