Elle a plusieurs fois reçu des appels du pied pour jouer au théâtre, mais la plupart du temps, elle a gentiment décliné. C'est finalement le metteur en scène Louis-Karl Tremblay qui a eu le pied heureux, convainquant Macha Grenon de remonter sur scène pour défendre le personnage d'Eurydice dans une relecture du mythe d'Orphée signée Elfriede Jelinek.

Son baptême du feu a eu lieu en 1996 dans la comédie Cinq filles avec la même robe, mise en scène par André Brassard. Une expérience heureuse, nous raconte Macha Grenon, qui a même été suivie d'une tournée.

« Ça s'est bien passé, se souvient-elle. Commencer avec André, ç'a été une expérience formidable, et j'ai eu des belles propositions après, mais je pense que le mélange de mes propres insécurités, mêlées à la notoriété que j'avais, a fait que je les ai déclinées. »

Malgré le succès qu'elle a connu très tôt à la télé (Lance et compte, Scoop, Juliette Pomerleau) et plus tard au cinéma (Familia, Barney's Version, The Year Dolly Parton Was My Mom), Macha Grenon a eu du mal à se lancer dans l'arène théâtrale.

« Mes insécurités, le fait de ne pas avoir fait d'école [de théâtre] et d'être connue, ça pesait dans la balance quand je montais sur scène. Il y avait beaucoup d'attentes, je crois que ça m'a freinée. Et puis, c'est vrai que j'étais prise dans plusieurs projets à la télé et au cinéma... »

Au fil des ans, elle a donc maintenu un lien discret avec la scène. Avec la Comédie humaine, par exemple, elle a fait des lectures de textes dramatiques (Les rendez-vous amoureux), puis une deuxième pièce, en 2006, Amadeus (avec André Robitaille et Gilles Pelletier).

Il aura donc fallu attendre plus de 12 ans pour que la maintenant blonde comédienne (que l'on peut voir dans la série Les honorables depuis janvier) remonte sur scène.

Quand le metteur en scène Louis-Karl Tremblay (Les Atrides) a lu le texte d'Elfriede Jelinek, il a spontanément pensé à Macha Grenon. « Je cherchais une actrice pour aller en contraste à la langue de Jelinek, qui est très dure et noire. J'avais besoin d'une dose de luminosité que Macha possède. Je l'avais vue dans Nouvelle adresse interpréter ce personnage qui meurt d'un cancer avec une luminosité extraordinaire. »

Macha Grenon avoue que sa première lecture du texte de Jelinek (La pianiste, Drames de princesses) l'a déstabilisée.

« J'ai eu l'impression d'écouter un disque de trash metal, illustre-t-elle. Il y a une charge et une intensité incroyables. Il a fallu l'apprivoiser. Ce n'est pas une rencontre qui se fait de façon organique. Il est question d'une parole de femme qui ne peut exister qu'à travers une violence. Ça m'a fait penser aux autrices victoriennes, comme Mary Shelley, qui étaient publiées anonymement. »

Le mythe d'Orphée

Le mythe met en scène Orphée, poète et musicien, qui s'éprend d'Eurydice. Le jour de leurs noces, elle est mordue par un serpent et meurt.

Inconsolable, Orphée se rend au royaume des enfers où il convainc le dieu Hadès de redonner vie à sa bien-aimée. Un marché conclu à une condition : qu'ils repartent, lui devant, elle derrière, et qu'il ne se retourne pas pour la regarder tant qu'ils ne seront pas revenus dans le monde des vivants. Mais impatient (ou inquiet), Orphée se retourne. Et perd Eurydice à tout jamais.

La fin du mythe peut être interprétée de plusieurs façons, note Macha Grenon. « Pourquoi il se retourne ? Parce qu'il est amoureux ? Ou parce qu'il a besoin de se voir dans son regard ? C'est ce que Jelinek explore », nous dit-elle. Dans cette relecture du mythe, Eurydice est une autrice qui n'arrive pas à vivre de son art et qui vit dans l'ombre d'Orphée, véritable vedette rock.

« Le mythe d'Orphée est revisité surtout dans son aspect relationnel, nous dit Macha Grenon. Eurydice peut-elle suivre sa pulsion créatrice tout en soutenant Orphée dans sa lumière de rock star qui inclut aussi le rapport à ses fans ? Comment peut-elle exister face à une meute de groupies ? Elle se perd dans l'image, dans la mode et les vêtements pour attirer l'attention... »

Louis-Karl Tremblay a confié le rôle d'Orphée au musicien Pierre Kwenders, tandis que Stéphanie Cardi, Macha Grenon et la danseuse Louise Bédard incarneront toutes trois le personnage d'Eurydice. 

« L'exploration du mouvement aborde le sujet du rapport au corps, à l'image, et ceux-ci parlent autant que les mots. On s'étire pour être des conduits. C'est un exercice exigeant, mais inspirant », dit Macha Grenon.

Y a-t-il des liens à faire entre cet Orphée lumineux et Macha Grenon ? « Je me suis beaucoup questionnée par rapport à la célébrité. C'est sûr que plus jeune, c'est quelque chose qui m'a nourrie. Ça nourrit l'ego, mais il ne faut pas confondre l'admiration et la valeur réelle du processus créatif. Aujourd'hui, à 50 ans, mon bonheur est de créer avec d'autres. C'est la relation créative qui m'intéresse. »

Macha Grenon a-t-elle pris goût à cette nouvelle trempette dans le monde du théâtre ? « Oui, j'y prends goût, répond la comédienne. C'est fou comme ça prend de l'énergie, mais ça nourrit en même temps. Avec le temps, je pense que c'est à moi d'assumer comment je veux le vivre. Le théâtre, c'est quelque chose que je suis heureuse de vivre dans un processus collectif et que j'aborde encore avec beaucoup d'humilité. Quand je suis dans cette zone-là, je suis bien. »

À bon entendeur.

Du 11 au 27 avril au théâtre Prospero