Avec Guérilla de l'ordinaire, Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent s'inscrivent dans une longue lignée de créatrices féministes qui nomment les maux de leur époque. Elles nous parlent de leur désir de « donner du gaz » aux militantes essoufflées.

Ça a commencé tranquillement : une confidence par-ci, un témoignage par-là, un article de journal, une entrevue entendue à la radio... Une accumulation de petites choses indignes et d'agressions subies par les femmes que Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent archivaient dans leur ordinateur : remarque sexiste ou paternaliste, mépris, harcèlement sexuel, menace de mort... C'est ce matériau qui a servi à la création de Guérilla de l'ordinaire, une pièce en fragments produite par le Théâtre de l'Affamée, qui nous a donné Chienne(s), une création remarquée le printemps dernier.

La pièce aborde la question des violences sexuelles qui se sont infiltrées dans notre quotidien et qu'on peine à identifier tellement elles ont été intériorisées. « On s'intéresse aux violences ordinaires qui sont difficiles à définir, qui se trouvent dans la fameuse zone grise. »

Work in progress

Le projet est né en 2013, alors que les deux autrices présentaient une conférence-performance sur la place des femmes dans le théâtre francophone. « On s'était beaucoup documentées sur les théories féministes, et ces idées-là ont pris racine dans nos vies personnelles, dans nos démarches artistiques, et ça nous a même menées a de la militance avec les femmes pour l'équité en théâtre », souligne Marie-Claude St-Laurent. Au fil du temps et de leurs réflexions, les deux jeunes femmes disent avoir senti la colère monter en elles. « On a commencé à écrire des chroniques, il y avait déjà l'idée d'un manifeste. Aujourd'hui, on a du matériel pour un spectacle de 4, 6 ou même 24 heures ! », note Marie-Ève Milot en riant.

Rire jaune

Pour Guérilla de l'ordinaire, les deux complices - qui sont en résidence au Centre du Théâtre d'Aujourd'hui - ont revisité l'histoire du théâtre des femmes. Elles ont relu des textes qui remontent aux années 70-80 - Les fées ont soif, les Monologues du vagin... - et ont fait « le triste constat que les choses ne changent pas vite ». « L'histoire se répète, il y a un épuisement chez les femmes », disent-elles.

« On a voulu aborder le fait que la militance n'est pas toujours désirée, que des fois, on n'a pas le choix, parce qu'on est une femme, de militer. »

- Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent, autrices de la pièce Guérilla de l'ordinaire

Elles ont également voulu parler du backlash ordinaire que les femmes subissent lorsqu'elles dénoncent les injustices. « Le spectacle rend hommage à toutes celles qui dénoncent et qui vivent ce backlash », affirme Marie-Ève Milot.

Cela dit, Guérilla de l'ordinaire - un texte qui mêle théâtre, poésie et documentaire - n'est pas dénué d'humour. Les femmes le savent bien, c'est ce qui permet de faire passer la pilule. « L'humour est une arme redoutable, reconnaît Marie-Claude St-Laurent. L'humour nous sert pour afficher nos positions avec plus de radicalité, c'est plus digeste ainsi. »

« On utilise l'humour, mais on le critique aussi, précise Marie-Ève Milot. Car l'humour contribue aussi à l'épuisement et à la fatigue des femmes qui militent et qui doivent toujours enrober leurs critiques et leur colère. Sois drôle et tais-toi... À la longue, ça fatigue. »

L'esprit du collectif

Le texte de Guérilla de l'ordinaire a beaucoup évolué depuis sa première lecture publique dans le cadre de Zone Homa, en 2016. Les deux autrices, qui travaillent beaucoup dans l'esprit du collectif propre au théâtre féministe, sont constamment à la recherche de commentaires qui viendront enrichir leur réflexion.

Ainsi, un programme du Centre des auteurs dramatiques (CEAD) leur a permis d'organiser des rencontres avec deux femmes qui ont eu un impact sur le contenu de la pièce : Maïtée Labrecque-Saganash, qui leur a parlé de son point de vue de militante, et la professeure et autrice féministe Martine Delvaux, qui a été leur marraine tout au long du travail de création. « On a eu cette chance incroyable de pouvoir confronter nos idées féministes auprès d'une experte, note Marie-Claude St-Laurent. Elle a lu plusieurs versions du texte, elle est venue écouter des répétitions, on a pris des cafés ensemble. Son apport a été très précieux. »

Une scène bienveillante

Sur scène, Guérilla de l'ordinaire se déclinera en deux temps : d'un côté, une vigile en hommage à une femme disparue qu'on apprend peu à peu à connaître. La scène est éclairée par la douce lumière des chandelles, dans une atmosphère bienveillante, un safe space, pour reprendre l'expression consacrée. En contraste, les chroniques éclatées qui forment le manifeste seront mises en lumière de manière à retentir encore plus fort sur la petite scène de la salle Jean-Claude-Germain que se partageront neuf personnes. Outre les interprètes, on retrouvera l'autrice-compositrice-interprète Mathilde Laurier, qui assurera le volet musical.

« On aborde le thème des violences sexuelles avec douceur, on se place du point de vue des victimes, dans le respect, l'écoute et la sensibilité, note Marie-Ève Milot, qui assure la mise en scène. Quand on écrit, quand on répète et quand on va jouer, c'est à elles qu'on pense. » « Au final, ajoute Marie-Claude St-Laurent, qu'on retrouvera aussi sur scène, c'est un texte dans lequel on se commet personnellement, politiquement et intimement. »

Avec Jonathan Caron, Maxime D.-Pomerleau, Maxime De Cotret, Myriam De Verger, Pascale Drevillon, Soleil Launière et Sarah Laurendeau

Jusqu'au 28 mars à la salle Jean-Claude-Germain du Centre du Théâtre d'Aujourd'hui

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