Les voisins ont (quasiment) 40 ans. Pour l’occasion, la célèbre pièce de Louis Saia et Claude Meunier, qui met en scène un groupe de banlieusards englués dans leur quotidien banal et leurs conversations creuses, sera présentée tout l’été à la Maison des arts Desjardins de Drummondville. Et elle le sera fort probablement à guichets fermés.

En effet, tous les billets prévus initialement pour l’été sont vendus depuis la fin de mai et presque chaque supplémentaire ajoutée depuis affiche complet. Grosso modo, ce sont plus de 28 000 billets qui ont trouvé preneur… Le public avait décidément hâte de retrouver Bernard (et sa haie), Jeanine (et sa mayonnaise), Junior (et ses plats Tupperware) ainsi que le reste du groupe, interprété par une distribution cinq étoiles réunissant Guy Jodoin, Marie-Chantal Perron, Pierre-Luc Funk, Rémi-Pierre Paquin, Brigitte Lafleur, Marilyse Bourke, Jean-Michel Anctil et Catherine Brunet.

C’est André Robitaille qui assure la mise en scène de ce bijou d’humour absurde, maintes fois repris depuis sa création chez Duceppe, en décembre 1980. Beaucoup se souviennent d’ailleurs du téléfilm sorti en 1987, avec Marc Messier, Rémi Girard et Serge Thériault comme têtes d’affiche.

Même s’il a coulé de l’eau sous les ponts depuis et que la technologie occupe désormais une place centrale dans nos vies, André Robitaille a décidé de se coller « à la virgule près » au texte original. 

Dès le début du travail, j’ai décidé de rester fidèle au classique, par respect et parce que c’est tellement bien ficelé.

André Robitaille, metteur en scène

On retrouve donc les huit personnages où le tandem Saia-Meunier les avait plantés, soit au tournant des années 70 et 80, une période à l’esthétique pour le moins douteuse, dont l’évocation par les costumes, perruques, musiques et autres décors devrait suffire à déclencher quelques rires.

Le texte, d’un féroce réalisme, fera le reste. Les voisins, pour ceux qui ne les connaissent pas déjà, c’est la quintessence du parler pour ne rien dire, du silence que l’on meuble avec des mots vides de sens, sans écouter ce que l’autre a à dire. C’est la preuve par mille de l’incapacité qu’on a parfois à communiquer, même avec nos proches.

Pour Guy Jodoin, qui interprète Bernard, la pièce reste toujours aussi pertinente, signe qu’en 2019, bien peu de choses ont changé. Humainement parlant, s’entend. 

Ce texte est tellement d’actualité ! Toutes ces répliques vides, on les entend encore dans l’ascenseur, dans une file d’attente. Souvent ces temps-ci, j’entends des choses et je me dis que ça pourrait être une réplique des Voisins ! En plus, aujourd’hui, on ne se parle plus ; on s’écrit. Et on s’écrit avec des fautes !

Guy Jodoin, comédien

Même son de cloche chez Rémi-Pierre Paquin : « À l’ère des réseaux sociaux, on n’utilise pas les mêmes mots qu’en 1980, mais je suis encore témoin de bien des conversations où il ne se dit rien ! » « On n’apprend pas l’art de la conversation et on reste souvent dans le small talk », rétorque Catherine Brunet, l’interprète de Suzie, l’ado rebelle.

Pour André Robitaille, qui a notamment joué le rôle de Junior alors qu’il étudiait à l’Université Laval, Les voisins est une pièce sur la confiance en soi, celle qui manque à plusieurs d’entre nous. « Les personnages essaient de remplir le silence pour cacher leur gêne, leur timidité. Contrairement à ce que disent plusieurs, je ne crois pas que Les voisins soit une pièce sur le vide ; c’est plutôt une pièce sur le plein. Le texte est plein de malaises, de sous-entendus, de difficultés à communiquer, de silences si efficaces. Et il est plein de gags ! » Il déborde aussi de répliques fortes, qu’on n’oublie pas rapidement. L’une des préférées du metteur en scène, qui a déjà dirigé la pièce en 1988 dans un théâtre de Saint-Jean-Port-Joli ? Elle vient de Bernard, qui lance : « Y a pus d’infini… » « C’est une réplique qui me fait beaucoup rire. C’est vraiment particulier. Qu’est-ce qu’il veut dire ? Vraiment ? », s’interroge André Robitaille. À chacun d’y trouver son interprétation.

Les voisins sera en tournée à compter de janvier prochain. Des dates sont déjà prévues pour Gatineau, Québec et Montréal (au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts).

Quate comédiens de la pièce

Guy Jodoin

Guy Jodoin interprète Bernard, l’homme qui a « quasiment allaité sa haie ». « J’ai eu la chance de jouer ce rôle il y a 30 ans à l’école de théâtre de Sainte-Thérèse avec Louis Saia comme metteur en scène. » La réplique qui résume toute la pièce, selon lui ? « “Ouin, mais m’a dire comme c’te gars…” Ça veut dire tout et rien en même temps ! C’est un vide si intéressant à remplir pour un acteur ! »

Brigitte Lafleur

« Le texte reste encore très, très d’actualité. Et ça fait encore plus mal parce qu’on voit qu’après 40 ans, rien n’a changé dans notre difficulté à communiquer. À la limite, ça montre aussi à quel point on a encore du mal à dealer avec la dépression », note celle qui interprète Laurette, une femme à la santé mentale fragile. « Laurette a cette réplique qui résume bien tout le personnage : “J’te dis, y a des matins, je passerais tout droit jusqu’à la fin de mes jours…” C’est direct dans le vif du sujet. C’est fort. »

Rémi-Pierre Paquin

L’acteur endosse le rôle de Fernand, le libidineux, celui par qui la soirée diapositives tournera au drame. « Je me rappelle avoir enregistré le téléfilm sur une cassette VHS et l’avoir écouté encore et encore. » La réplique qui lui tire chaque fois le sourire est tirée d’une conversation entre Jeanine et Laurette :  « A doit être bonne pour griller. À l’a l’air foncée. — Elle ? C’est une vraie dinde ! »

Catherine Brunet

L’interprète de Suzie a lu la pièce dans le cadre d’un cours, au secondaire. « C’est fou, tout le monde a une relation avec ce texte. Même les jeunes, qui jouent encore la pièce à l’école. En plus, Suzie a les mêmes préoccupations que les jeunes d’aujourd’hui. Au fond, les rapports humains n’ont pas changé. » Sa réplique favorite vient de Junior, l’ado coincé à qui le père demande si la fille qui l’intéresse est un beau brin. « Elle est assez brin. C’est pas une beauté, mais pour une première blonde. »