L'année 2018 marquera le 50e anniversaire de la création des Belles-soeurs, oeuvre phare de notre dramaturgie. Pour souligner cet évènement, une nouvelle mouture de la version musicale sera offerte au public québécois. Voilà un cadeau qui vaut bien des milliards de timbres-primes!

Le 4 mars 1968, quelques dizaines de personnes se sont entassées dans le Théâtre des Apprentis-Sorciers (qui allait devenir le Théâtre d'Aujourd'hui quelques mois plus tard), situé au coin des rues Sainte-Catherine et Papineau, pour découvrir la pièce d'un jeune auteur de 26 ans.

À 20 h 30, 15 comédiennes ont pris place sur des chaises disposées en demi-cercle sur la minuscule scène. Puis les spectateurs ont entendu: «Misère, que c'est ça? Moman!» Les belles-soeurs de Michel Tremblay entraient au pays de la légende.

Le 50e anniversaire de cette oeuvre majeure de la dramaturgie québécoise ne pouvait être ignoré. Et ce sera par la présentation d'une nouvelle mouture de la version musicale créée en 2010 par René Richard Cyr et Daniel Bélanger qu'il sera souligné.

Fait curieux, ce n'est pas à un producteur de théâtre que l'on doit l'idée de cette célébration, mais à Louis Morissette, patron de KOScène.

«C'est très drôle, car dans le spectacle Les Morissette, il y a un passage où je dis, en long et en large, pourquoi je déteste les comédies musicales, nous a confié le producteur, auteur et comédien. Mais ce spectacle, c'est complètement autre chose. Alors, quand j'ai appris que rien n'était prévu pour souligner le 50e anniversaire des Belles-soeurs, je me suis dit que c'était une honte et qu'il fallait remonter cela.»

Trois personnages supprimés

Plusieurs changements ont été apportés à la distribution qui comprendra 12 personnages plutôt que 15. Deux des jeunes filles - Lise Paquette et Ginette Ménard - seront fondues dans le personnage de Linda Lauzon, la fille de Germaine. Par ailleurs, on fera disparaître le personnage de Gabrielle Jodoin.

L'idée de supprimer trois personnages est venue lors du travail que René Richard Cyr a effectué à Banff afin d'élaborer la version anglophone de la version musicale.

«Je trouve que ces changements font prendre du corps à l'oeuvre, nous a-t-il dit. C'est Linda qui devient enceinte au lieu de Lise Paquette. Germaine ne sait donc pas que sa propre fille est enceinte. Cette jeune représente à elle seule l'espoir de tous les personnages.»

L'auteur a très bien reçu ces coupes.

«Je l'ai souvent dit: Les belles-soeurs sont une oeuvre de jeunesse, donc une oeuvre qui souffre de "trop-plein". Il y a trop de tout dans cette pièce. Donc je vis très bien avec ces modifications, car cette proposition est intelligente.»

Maude Guérin, qui fut magistrale dans le rôle de Pierrette Guérin (la guidoune), s'attaquera à celui de Germaine Lauzon, interprétée par Marie-Thérèse Fortin lors de la création de la version musicale en 2010.

Éveline Gélinas s'inscrira dans la dynastie de ces actrices québécoises qui ont du chien (Luce Guilbault, Michelle Rossignol, Maude Guérin) et qui ont osé se glisser dans la peau de la sulfureuse Pierrette Guérin.

C'est à la talentueuse Sonia Vachon que reviendra la tâche de livrer le mythique monologue du «Maudit cul» créé en 1968 par Denise Filiatrault sous les traits de la soumise Rose Ouimet.

Le «Go» de Tremblay

Plusieurs autres changements dans la distribution forcent le metteur en scène à travailler avec l'ensemble de l'équipe à compter du printemps prochain. «J'ai terminé la tournée il y a trois ans à la Maison symphonique avec le sentiment d'une douce vengeance. J'avais mis des cordes à linge et des bobettes dans cette salle chic. Pour moi, ça concluait bien le tout. Mais quand Louis Morissette est arrivé avec cette proposition, j'ai dit: "Oui, go! On repart ça!"»

Quand on demande à René Richard Cyr s'il aurait accepté de remonter la pièce plutôt que la version musicale pour souligner le 50e anniversaire de l'oeuvre, celui-ci est sans équivoque. «Je ne serais pas capable... Mais si je devais travailler sur cette pièce, je mettrais l'éclairage sur certaines choses, c'est sûr.»

Même s'il se dit plus près de certaines autres pièces de Tremblay que de celle-ci, René Richard Cyr reconnaît le génie de cette oeuvre. «Quand j'entends quelqu'un dire que Les belles-soeurs sont une pièce réaliste, je dis: "What the fuck! As-tu déjà vu ça, toi, 15 femmes dire qu'elles aiment le bingo ou qu'elles mènent une maudite vie plate toutes en même temps?" Mais ce qui me fascine le plus avec cette pièce, c'est que, encore aujourd'hui, mettre uniquement des femmes sur scène demeure quelque chose d'unique.»

Une pluie d'honneurs

Cette reprise de Belles-soeurs s'ajoute aux autres évènements et honneurs qui couronnent la prodigieuse carrière de Michel Tremblay ces jours-ci. En plus de recevoir le prix Prince Pierre de Monaco pour l'ensemble de son oeuvre, ce dernier s'est vu remettre lundi soir le prix Gilles-Corbeil de la Fondation Émile-Nelligan.

«Je me suis souvent demandé comment les auteurs qui remportaient de grands prix faisaient pour écrire par la suite. Dans mon cas, ça tombe bien, car j'ai prévu une année sabbatique.»

«Depuis ma chirurgie au cerveau et mon cancer de la gorge, j'avais une urgence d'écrire, comme si j'allais mourir, poursuit-il. Quand j'ai terminé Le peintre d'aquarelles, mon dernier roman, j'ai eu envie de m'arrêter, de prendre une année pour voir mes amis à Key West, pour profiter de la vie.»

Cette nouvelle version de Belles-soeurs sera présentée à Sainte-Thérèse, Chicoutimi, Trois-Rivières, Gatineau, Québec, Sherbrooke et Montréal, entre juillet 2018 et janvier 2019. Les billets seront en vente le 4 novembre.

Photo Paul Chiasson, La Presse Canadienne

La reprise de Belles-soeurs s'ajoute aux autres évènements et honneurs qui couronnent la prodigieuse carrière de Michel Tremblay ces jours-ci.

Les belles-soeurs en cinq dates

> 1968: Création (le 4 mars) de la pièce sous forme de lecture publique au Théâtre des Apprentis-Sorciers, puis dans une mise en scène d'André Brassard au Théâtre du Rideau Vert (le 28 août). Cette production est reprise en août-septembre 1969, puis en août-septembre 1971.

> 1973: Présentation d'une nouvelle production à L'Espace Cardin, à Paris. La première représentation se termine par une ovation de 20 minutes.

> 1987: Le magazine français Lire met Les belles-soeurs dans sa liste de la «Bibliothèque idéale».

> 1989: La pièce est traduite et présentée à Glasgow, en Écosse. Depuis sa création, Les belles-soeurs a fait l'objet de 600 productions dans le monde et a été traduite en une quinzaine de langues.

> 2018: À l'occasion du 50e anniversaire de la pièce, une nouvelle mouture de la version musicale sera présentée en tournée au Québec.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Michel Tremblay avec trois actrices de la nouvelle version de Belles-soeurs: Éveline Gélinas, Maude Guérin et Sonia Vachon