Le comédien québécois Yves Jacques a joué dans sept films du grand réalisateur français maintenant défunt Claude Miller. On l'a vu au théâtre Chaillot, à Paris, dans plusieurs pièces de Robert Lepage et même dans The Importance of Being Earnest d'Oscar Wilde aux côtés de l'acteur britannique Rupert Everett. Il a été à Cannes avec Jésus de Montréal, a partagé l'écran avec la star Cate Blanchett et a connu Xavier Dolan adolescent.

Et ce n'est qu'un survol de tout ce qu'il a croisé comme grandes pointures et immenses défis depuis les débuts de sa carrière, il y a plus de 30 ans.Mais s'il me dit qu'il est maintenant «rassasié», assis sous un parasol dos au théâtre Odéon et devant une salade de saumon mariné, c'est parce qu'il joue avec Isabelle Huppert dans un Marivaux, Les fausses confidences, une production mise en scène par le Suisse Luc Bondy l'an dernier, mais reprise tout récemment à l'Odéon et en route vers Moscou. «Il faut comprendre que c'est mon idole, j'ai atteint un rêve!», lance-t-il.

Lorsqu'on lui demande s'il a encore des rêves comme ça à combler, aucun ne lui vient à l'esprit d'emblée. Il finit par penser au réalisateur d'origine autrichienne Michael Haneke, avec qui il aimerait tourner. Se réjouit que le réalisateur américain Wes Anderson soit venu voir la pièce. «Quand tu joues avec Huppert, tout le monde vient voir la pièce.»

Place au plaisir de jouer

«J'ai hâte de voir ce qui va arriver, mais ce n'est plus comme avant. J'ai été ambitieux, ambitieux pour deux», raconte-t-il, en parlant de sa mère, morte il y a quatre ans, dont il a absorbé les rêves pour les porter ensuite, nourri par la culpabilité de l'avoir déçue par son homosexualité.

Mais l'ambition brûlante a laissé place à un espace plus zen dans sa tête et son coeur, un espace où il y a plus de marge de manoeuvre pour profiter du plaisir de jouer, de travailler avec des gens formidables. 

«J'ai eu un trou de trois mois récemment, sans jouer, et ça m'a manqué. J'ai besoin de ça. C'est de l'ordre de la survie.»

Le comédien avait toutes sortes de projets en marche, de quoi s'occuper. Le vide n'avait rien de l'angoisse de l'inconnu. C'était juste le manque d'un élément dont il ne savait pas autant à quel point il était essentiel à son équilibre, à son bonheur.

Yves Jacques fait carrière en France depuis la fin des années 80. Sa carte d'entrée a été son rôle dans le Déclin de l'empire américain, de Denys Arcand, où il incarnait Claude, un homosexuel «plus Village, plus Castro» qu'il ne l'est dans la vraie vie. Jacques se décrit comme un gai romantique, qui a traversé au détour de la trentaine le pire des années sida. Il a perdu beaucoup d'amis durant cette période cruelle des années 80, 90, avant que la trithérapie ne ralentisse enfin les ravages de la maladie.

À Paris, où il passe plusieurs mois par année, il sous-loue un appartement à des amoureux du Québec, Michou et Gérard de la Fleuriaye, dans le 5e arrondissement, tout près de l'Odéon. Le logement a déjà été occupé par Pauline Julien, Michel Tremblay, Marie-Claire Blais. Des géants. Il tient à ce qu'on nomme ces mécènes immobiliers. Des gens qui ont fait beaucoup, dit-il. «Presque une seconde famille.»

Cela ne l'empêche pas de rêver d'un chalet dans les Laurentides ou dans les Cantons-de-l'Est et de garder un lien avec ses racines. «Je tiens à faire des choses au Québec», explique-t-il. Il est ravi de jouer bientôt dans un film de Chloé Robichaud appelé Pays, avec Sophie Desmarais, notamment. Une oeuvre sur la politique.

Jouer sans accent

Dans le Marivaux qu'il joue à l'Odéon, il incarne Dubois, un valet machiavélique qui ourdit le scénario complexe de fausses confidences, charpentes à la comédie. Son but: s'assurer que son ancien patron séduise une riche veuve, incarnée par Isabelle Huppert, pour qui il travaille. Trahit-on un secret si on dit que ça marche? Et que tous les déboires amoureux, entremêlés d'arrivisme et de cupidité, sont plus actuels que jamais...

«On dit exactement le texte intégral de Marivaux, note-t-il. Sauf qu'on ne fait pas le marivaudage.» Le ton est celui d'aujourd'hui, malgré les subjonctifs baroques. Et Yves Jacques se mêle aux autres personnages sans le moindre décalage.

Pourquoi serait-ce étonnant? N'est-ce pas la norme que des comédiens soient caméléons, notamment avec leur accent?

«En France, il faut démontrer qu'on n'a pas d'accent. Dans le monde anglo-saxon, c'est l'inverse, il faut démontrer qu'on est capable de faire tous les accents, c'est très différent.»

Au moment de l'entrevue, Yves Jacques avait joué 117 fois la pièce et tourné un film, tiré de la pièce, pour ARTE, qui sera aussi diffusé à ArtTV cet automne. Il se prépare à partir à Moscou avec l'équipe.

Moins d'ambition qu'avant?

Peut-être. Mais plus de plaisir à jouer que jamais.

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Yves Jacques reviendra à l'Odéon en septembre pour jouer dans une autre pièce de Bondy, Ivanov de Tchekov.