Steve Gagnon a une belle gueule de jeune premier. Mais si on fouille son oeuvre, on découvre que sous le masque d'un Roméo romantique (rôle qu'il a joué à Québec) se cache un personnage anxieux et ténébreux.

Acteur formé au Conservatoire de Québec, installé à Montréal depuis un an, Steve Gagnon est aussi l'auteur de pièces sur le choc amoureux (Ventres et Sang). Pour lui, le théâtre est un refuge pour s'isoler de la compagnie des hommes. Originaire du Saguenay (père manutentionnaire et mère infirmière), il a choisi son métier en même temps que son amour: sa blonde Claudiane Ruelland, comédienne, était aussi dans sa classe au Conservatoire.

En entrevue, il a déjà confié «que même les plus beaux vivent toujours une insatisfaction chronique, à cause d'une pression sociale extrême». C'est en partie pour explorer «comment la beauté est soumise à des pressions» qu'il a écrit et mis en scène, à La Licorne, une pièce librement inspirée de Britannicus: En dessous de votre corps... L'un de nos coups de coeur en 2013.

Si l'année qui s'achève a été fertile en création pour Gagnon, il sera aussi fort occupé en 2014. D'abord en mars, il défendra le rôle principal dans Commedia de Pierre-Yves Lemieux, une production de l'Opsis sur la vie de Goldoni présentée au Théâtre Denise-Pelletier. Il a aussi deux «super projets» à Montréal et en tournée, dont il ne peut parler parce qu'au théâtre, les programmations sont des secrets d'État, jalousement gardés par les directions artistiques.

Parlez-moi d'amour

Dans En dessous de votre corps..., la beauté de la langue nous happe. Elle mélange l'oralité brute avec un style recherché, ouvragé. Les deux écritures se superposent. Comme si Gagnon voulait marier la langue de Tremblay avec celle de Claudel.

Le théâtre de Steve Gagnon fait table rase avec le passé, sans toutefois s'inscrire dans les tendances des jeunes dramaturges. Point de politique ni de militantisme, pas de technologie ni de réseaux sociaux dans ses pièces.

Il s'est fait tatouer sur l'avant-bras deux (longues) phrases tirées d'un roman de Sylvain Trudel. Ça parle de croyance, de virginité, d'église, de lieu sacré et «d'un tabernacle pour mettre ton âme au chaud». On est loin des thèmes de prédilection de la génération Y!

«On peut être très engagé sans parler de politique, de crises ou de conflits en Palestine, dit-il. Tu peux être engagé en parlant d'amour ou plein d'autres choses.»

Une chose qui le préoccupe, c'est la place des hommes. «Les hommes n'ont pas eu de mouvement pour définir leurs rôles dans la société. Nous sommes en retard, les gars hétérosexuels, par rapport aux femmes et aux gais, croit-il. Collectivement, on n'a pas eu à se battre pour changer les règles et outrepasser les contraintes.»

Pour lui, c'est encore difficile à définir, un homme, en 2013.

«Quoi faire ou ne pas faire pour être un homme? À 15 ans, un ado ne se sent pas libre d'être sensible, émotif. Il n'a pas nécessairement le goût d'adhérer aux vieux modèles de virilité. Il y a un grand flou dans la construction de l'identité masculine.»

Au fond, Steve Gagnon explore les paradoxes de la condition humaine. En amour comme en société ou dans la masculinité. Il tente de trouver son refuge avec le théâtre. Parions que nous serons plusieurs, à l'avenir, pour l'accompagner dans sa quête.

Son top-5 de 2013

Point d'équilibre, de Mélissa Verreault

Sa langue est belle, sensible, avec une touche d'humour que j'adore; 11 nouvelles, 11 univers différents, un grand plaisir à lire.

Blizzard, du groupe français Fauve

Un album de spoken word sur la résistance, intense, juste assez maladroit, extrêmement touchant.

Le temps inventé, de Maude

Un album doux et brut, intime, une artiste authentique et très inspirante.

La vie d'Adèle, chapitres 1 et 2, d'Abdellatif Kechiche

Des interprétations d'actrices hallucinantes, un film sans compromis, des scènes magistrales.

12 Years a Slave, de Steve McQueen

Un film bouleversant, important, qui touche la perfection!