À la une du quotidien Globe and Mail, hier matin, on pouvait lire ce titre: est-ce que l'École nationale de théâtre du Canada est «montréalocentriste»? À l'intérieur, une illustration pleine page avec une fleur de lys sortant d'un rideau rouge de scène pour saluer le public, laissait entendre que l'institution qui a pignon rue Saint-Denis, au coeur du Plateau, serait plus proche de la culture québécoise que de celle du ROC...

Le Globe se basait sur un rapport réalisé pour Patrimoine Canada, à l'automne 2011, par Joël Beddows, un professeur et homme de théâtre franco-ontarien. Le journaliste J. Kelly Nestruck l'a obtenu sous le couvert de l'anonymat (le rapport a été mis sur une tablette et n'a pas été diffusé, mais on peut en obtenir une copie, avec des passages biffés, en utilisant la Loi sur l'accès à l'information).

En gros, le rapport critique la direction de l'École nationale de Théâtre (ENT) pour le traitement inéquitable envers ses élèves anglophones et francophones. Beddows, qui est aujourd'hui directeur du département de théâtre de l'Université d'Ottawa, souligne, entre autres, le manque de ressources de la section anglaise par rapport au secteur français, le peu de francophones hors Québec inscrits dans les programmes d'études, la sous-représentation d'étudiants anglophones en interprétation (chaque classe compte 12 élèves, peu importe leur langue, alors que les anglophones sont plus nombreux au pays) et aussi le sentiment d'être un «citoyen de seconde classe» ressenti par les élèves anglophones durant leurs années d'études dans la métropole.

«Je ne fais qu'un diagnostic en exposant les forces et les faiblesses de l'ENT. Mon rapport est assez équilibré», s'est défendu Joël Beddows, joint hier à l'Université d'Ottawa. Il affirme avoir été surpris par le traitement du Globe. «Ça ne reflète pas l'esprit de mon rapport.» Il nie aussi avoir été à la source de cette fuite plus d'un an après avoir déposé son rapport, en février 2012.

Le directeur général de l'ENT, Simon Brault, semble en douter: «Le journaliste cite la réponse que j'ai envoyée à monsieur Bellows dans une lettre personnelle. Il est venu me voir à mon bureau avec la copie originale, sans les passages biffés...»

Des changements effectués

Simon Brault souligne que depuis deux ans, des choses ont changé à l'École nationale, dont l'arrivée en janvier 2013 d'une nouvelle directrice de la section anglaise, Alisa Palmer, qui a remplacé Sherry Bie. «Alisa a déjà modifié ou renouvelé le contenu des programmes de son département, dit-il. Si j'ai rejeté ce rapport, c'est parce que je le trouvais sans fondement, poursuit Brault. Les observations ne sont pas basées sur des faits, mais sur des préjugés. Son auteur a une vision dualiste du Canada, qui est teintée du [vieux] concept des deux solitudes. Et c'est rempli de jugements de valeur sur des professeurs connus. À la limite, c'est diffamatoire!»

Selon le directeur, l'idée des quotas pour représenter la diaspora canadienne ne tient pas. «Si l'École n'a pas d'élève francophone de Terre-Neuve, une année, c'est possible. On ne choisit pas nos candidats selon leur province d'origine, mais selon leurs talents et aptitudes.»

«Je n'ai jamais parlé de quotas, rétorque Joël Bellows. Toutefois, si l'École nationale veut jouer son rôle en anglais et représenter l'évolution du pays, la nouvelle réalité du Canada, elle doit réfléchir à ces questions.»

Tempête dans un verre d'eau? Autre exemple de «Québec bashing»? Illustration de la difficulté de plaire à tout le monde avec une institution bilingue et nationale? Le débat est vieux comme la tête à Papineau.