De mémoire, parmi les pièces produites par Juste pour rire, c'est probablement la plus burlesque et... estivale. One man, two guvnors, comédie à succès de l'auteur britannique Richard Bean, est une variation yé-yé d'Arlequin, serviteur de deux maîtres, écrite en 1745 par le maître de la commedia dell'arte, Carlo Goldoni. Marier burlesque et commedia dell' arte afin de «moderniser», voire de populariser, le genre, il n'y a rien de contre nature à cela.

Encore faut-il le faire avec rigueur, intelligence et doigté. Un homme, deux patrons, la version française adaptée par Frédéric Blanchette et mise en scène par Normand Chouinard au Monument-National, manque un peu de ces trois ingrédients.

À Magog, en 1963, Francis Frenette (Marcel Leboeuf) est au service de deux patrons pègreux. Quand ces derniers vont loger au même hôtel, le serviteur fera tout pour que les deux hommes ne se croisent pas. Bien sûr, c'est risqué. Il va mêler leurs bagages et leurs ordres, frôlant souvent la catastrophe. Cela se compliquera lorsqu'on apprend la véritable identité de l'un des patrons. Le tout est pimenté de chassés-croisés amoureux et de quiproquos inévitables. 

La pièce de Bean est une adaptation colorée de l'oeuvre de Goldoni avec de la musique. Il y a des musiciens sur scène qui imitent ces groupes québécois de la vague yé-yé des années 60, comme Les Classels ou Les Excentriques. Un trio de chanteurs-guitaristes vêtu de complets roses qui performe dans un décor en trompe l'oeil, sans aucun rapport avec leur style! Ces musiciens reviennent (trop) souvent et brisent le rythme de ce spectacle de deux heures trente. De plus, l'adaptation abuse des références québécoises de l'époque. On veut probablement plaire aux baby-boomers nostalgiques... Mais il y a trop de crémage sur le gâteau. 

La mécanique du comique

Le comique n'est pas une science exacte... mais c'est une mécanique. Une mécanique qui ne pardonne pas: si elle manque d'huile, ça fonctionne mal. Ce qu'on annonce dans la promotion comme «le spectacle le plus drôle en Occident» nous fait à peine sourire. Du moins, si votre sens de l'humour se nourrit à plus que des pirouettes, des blagues sur les gros seins des femmes et des coups (répétitifs) sur les couilles des messieurs.

La comédie a aussi besoin, peu importe le genre, d'une solide direction d'acteurs. Ici, certains jouent comme dans un téléroman ou une sitcom, d'autres (Sébastien Dodge et Marc-François Blondin, les meilleurs de la distribution à notre avis, avec Anne-Élisabeth Bossé) évacuent tout réalisme ou psychologisme pour proposer une composition «cartoonnesque», irréelle. Ce qui est plus intéressant.

Finalement, ce valet manipulant ses deux patrons défendu par Marcel Leboeuf, comment est-il? L'acteur multiplie les grimaces et les gros yeux sans comprendre l'ombre du début de son personnage. Certes, Arlequin (Francis) est un clown. Mais sous son masque comique, il souffre. Seul et sans-le-sou, il meurt de faim. Il est rejeté de tous. Il risque sa vie en frayant avec des criminels. Son stratagème est donc une question de survie.  

D'accord, la proposition du metteur en scène n'a pas la prétention de considérer la critique sociale à l'origine du personnage. On veut divertir léger. Est-ce une raison pour réduire ce serviteur à un festival de clichés, de pirouettes et de cabotinages? 

Jusqu'au 29 juin, à la salle Ludger-Duvernay du Monument-National