Peut-être que je n'ai pas compris tout ce qu'il y avait à comprendre. Peut-être que j'aurais dû relire Tintin, avant de me rendre au TNM. Peut-être qu'il y a des soirs, comme ça, où même Robert Lepage ne réussit pas à nous transporter ailleurs. Même lui.

Or voilà, autant le dire sans détour: ce Dragon bleu, malgré toute la sophistication de sa facture, m'a laissée sur ma faim. Sans doute aurais-je dû imiter cet ami croisé avant le spectacle, qui m'a confié n'entretenir aucune attente. En effet, j'étais remplie d'expectatives et d'enthousiasme quand a défilé le générique sur l'écran transparent posé à l'avant-plan de la scène.

Un générique? Évidemment. On est habitués, désormais, à cette façon qu'a Lepage de faire des films au théâtre. Et Le dragon bleu (que Lepage cosigne avec Marie Michaud) n'échappe pas à cette contamination des repères théâtraux par les codes du cinéma. Or, cette fois-ci, en plus de faire un film et un show de théâtre, Lepage s'improvise bédéiste.

Trois protagonistes, donc, tracent cette histoire de désillusion, d'errance et de l'immense difficulté d'aimer les autres. Un Shanghai de galeries d'art, d'aéroports modernes et de trains ultra rapides est le lieu où sont réunis Claire, publicitaire montréalaise dans la quarantaine qui désire un enfant à tout prix, Pierre, galeriste québécois exilé en Chine qui a perdu ses idéaux communistes, et sa protégée Xiao Ling, jeune artiste qui incarne la jeunesse chinoise avec ses téléphones portables et son karaoké.

Plus de 20 ans après La trilogie des dragons, on retrouve un Pierre Lamontagne (joué par Lepage) à la fois tendre et taciturne, anesthésié par sa vie de galeriste, un personnage qui finalement n'est qu'exploré en surface. Dommage, puisque cet être qui est allé vivre en Chine pour suivre ses idéaux communistes est une partition très riche pour Lepage, qui donne à ce rôle une sensibilité très émouvante.

La fascination de ce personnage pour le tatouage (Lamontagne s'exile à Hong Kong pour se faire tatouer), donne à ce spectacle quelques-unes de ses scènes les plus belles et les plus énigmatiques. Le dragon bleu effleure aussi le sujet de la calligraphie chinoise, pour esquisser des liens entre les scènes et les personnages.

Nous sommes chez Robert Lepage, donc dans un lieu très beau, très efficace, très attrayant pour le regard. Mais, il y a des mais... Une maladresse dans les dialogues et une superficialité dans la description de la quête des personnages. À vrai dire, on n'arrive jamais vraiment à sympathiser avec cette Claire Forêt wonder woman, alcoolique, baby hungry, ambitieuse, qui ne dépasse jamais le cliché. Quant à la jeune artiste défendue par Tai Wei Foo, sa présence ne devient appréciable que lorsque cette danseuse utilise le langage corporel.

Comme toujours chez Lepage, plusieurs thèmes fusent dans tous les sens. Le désir d'enfant qui devient assourdissant quand l'ambition professionnelle a pris toute la place. L'attirance pour la Chine et son idéal communiste. L'exil de celui qui n'en pouvait plus du Québec et de «sa dérision, sa peur des étrangers...» L'amour, la tendresse, la solitude, la peur de l'autre, la possessivité, l'homosexualité variable, qui font des relations humaines un vrai champ de bataille.

Il y a de tout cela, dans cette bande dessinée théâtrale qui confine dans des cases étroites ces vastes thèmes de l'expérience humaine. D'autres spectateurs plus doués que moi pour la légèreté trouveront sans doute leur compte dans cette expérience qui satisfera certainement les esthètes.

Mais, ultimement, l'alignement de ces épisodes à la manière de Tintin et le lotus bleu n'a pas réussi à me transporter dans la Chine rêvée, détestée, idéalisée par ces trois personnages. Cette fois-ci, l'expérience de Lepage est plus près de la visite guidée que du vrai voyage intérieur.

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Le dragon bleu, de Robert Lepage et Marie Michaud, mise en scène de Robert Lepage, au Théâtre du Nouveau Monde jusqu'au 30 mai.