Du film Amadeus de Milos Forman (d'après la pièce de Peter Shaffer), on se rappelle surtout du rire hilare de l'acteur Tom Hulce, dans le rôle de Wolfgang Amadeus Mozart. Le doué Benoît McGinnis se coiffera de la perruque du compositeur prodige, dans une mise en scène épurée d'Amadeus que signe René Richard Cyr. Michel Dumont lui tiendra tête, dans la peau du rival Salieri. En avant la musique!

Ces jours-ci, la large scène du théâtre Jean-Duceppe ressemble à une version impressionniste d'un salon viennois du XVIIIe siècle. Plancher noir, meubles d'époque et amas de chandelles disposés ici et là créent une ambiance à la fois somptueuse et morbide.

 

«Il fallait recréer un lieu de représentation qui mettrait les acteurs au premier plan. J'ai éliminé certains personnages qui n'étaient pas parlants dans l'histoire, pour rendre la pièce plus directe. De sorte que l'on ne s'empêtre pas dans 1001 changements de décors et d'atmosphères à faire vivre», explique René Richard Cyr, qui a fait tout un travail de «dégraissage» de la pièce de Shafer, pour rendre possible sa mise en scène chez Duceppe.

Je rencontre Cyr en compagnie des deux acteurs principaux d'Amadeus, Benoît McGinnis et Michel Dumont, dans les coulisses du théâtre Jean-Duceppe. Si le public de chez Duceppe pourra assister à ce duel entre Salieri, le mélomane sans génie, et Amadeus, le génie exalté, c'est avant tout parce que René Richard Cyr voulait réunir sur une même scène ces deux acteurs qu'il estime.

«Pour un show comme ça, si t'as pas les acteurs, fais-le pas. Ce serait l'équivalent de monter Un tramway nommé Désir sans Blanche Dubois», lâche celui qui en est cette année à sa troisième mise en scène pour le théâtre (en plus de sa version de Macbeth, pour l'Opéra de Montréal).

Depuis qu'il a joué le rôle de Jimmy dans Titanica, la robe des grands combats (au Théâtre d'Aujourd'hui, en 2001), Benoît McGinnis se retrouve presque chaque année dans le giron de René Richard Cyr. «C'est un acteur fabuleux», affirme Michel Dumont, qui a constaté toute l'ampleur du talent de son complice de scène quand il l'a vu jouer dans Frères de sang dans son théâtre, en 2004.

«Louise (Duceppe) et moi, on se disait: «comment il fait pour ne rien faire et démontrer autant d'émotion?» C'est la marque d'un grand talent. Si monsieur Duceppe était encore parmi nous, il l'engagerait tout le temps», assure le directeur du théâtre Jean-Duceppe.

Un énergumène à la cour

Pacing rapide, épuration de la pièce pour ne conserver que les éléments essentiels pour comprendre l'histoire, René Richard Cyr a réalisé une adaptation de la pièce de Shafer pour la ramener à une échelle humaine. «C'est René Richard qui a eu l'idée de traduire et d'adapter cette pièce. Je trouvais que c'était un énorme projet», relate Michel Dumont.

Présent sur la scène du début à la fin de ce spectacle de 2h30, Dumont prendra le rôle du narrateur, en incarnant un Salieri consumé par la jalousie. «Salieri a un problème avec Dieu. En fait, il a deux problèmes: il pense que le talent vient de Dieu et que si Mozart en a, et lui non, c'est parce que Dieu a choisi Mozart», évoque Michel Dumont.

La pièce de Peter Shaffer dépeint un Wolfgang Amadeus Mozart qui est parachuté dans un milieu qu'il ne comprend pas, dans une cour où tout le monde est tiré à quatre épingles. Le jeune Amadeus de 26 ans ne comprend pas ce qu'il doit faire, il crie, fait des millions de saluts. Pour défendre ce personnage haut en couleur, Benoît McGinnis ne calquera pas son jeu sur celui de Tom Hulce, qui débordait d'exubérance.

«Dans cette version-ci, nous tombons vite dans quelque chose de douloureux, de moins lumineux. Comme il y a moins de parasites autour de l'histoire de Salieri et Mozart, on tombe vite dans la déchéance d'Amadeus», indique le jeune acteur de 30 ans.

Quand il arrive à Vienne en 1782, Mozart est rempli de lumière et d'effervescence, démontre la pièce de Shaffer. La mort de son père, les restrictions liées à ses oeuvres, les abus de la vie, l'alcool et la syphilis entraînent Amadeus dans une déchéance qui le fera mourir prématurément, à 36 ans.

«Après la mort de Mozart, c'est Salieri qui a le plus aidé à faire connaître la musique de Mozart. Dans la pièce, Shaffer a démontré qu'après toutes ces années, Salieri avait trouvé un moyen pour que les gens ne l'oublient pas. En criant partout qu'il était l'assassin de Mozart, Salieri se rendait immortel. Dans son esprit, quand on allait parler de Mozart avec amour, on parlerait de lui avec horreur. S'il n'avait pas réussi à être célèbre, il voulait au moins réussir à être infâme», évoque Michel Dumont.

Hors du temps

René Richard Cyr souligne qu'Amadeus n'est pas une pièce historique. «Constanze et Amadeus sont deux punks qui débarquent dans la société de Vienne de 1782. Ils incarnent la modernité qui arrive.»

Selon le metteur en scène, qui a eu l'idée de monter Amadeus lorsqu'il travaillait sur Da Giovanni avec l'Opéra de Montréal, le rapport de jalousie entre Amadeus et Salieri est un événement dramatique absolument intemporel.

«La pièce parle d'envie, de cette pulsion de vouloir écraser plus grand que soi», évoque Cyr, qui rappelle que Peter Shaffer s'est inspiré de la nouvelle Mozart et Salieri de Pouchkine pour écrire cette pièce jouée à New York et à Londres. «Je trouvais cette histoire palpitante. Un jeune qui viendrait voir cette pièce pourrait très bien suivre du début jusqu'à la fin, parce qu'on lui raconte une histoire en faisant découvrir la musique de Mozart», mentionne le metteur en scène.

Tuer son ennemi pour être à jamais auprès de lui, voilà qui relève de la tragédie pure. Et pour rendre la fiction qui dépasse l'histoire, deux acteurs qui chacun ont marqué leur génération croiseront l'épée sur la scène de chez Duceppe. Une chance qu'il y aura la musique pour adoucir les moeurs.

Amadeus, de Peter Shaffer, du 29 avril au 6 juin au théâtre Jean-Duceppe.

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L'Oeuvre de Dieu, la part du diable

Pour écrire Amadeus, l'auteur anglais Peter Shaffer s'est inspiré de Mozart et Salieri, une pièce en un acte d'Alexandre Sergueïevitch, auteur considéré comme le père de la littérature russe. Le titre de la pièce réfère au nom que Mozart utilisait fréquemment lorsqu'il signait des oeuvres (son vrai nom était en fait Johannes Chrysostomus Wolfgang Theophilus Mozart.)

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La pièce Amadeus a été créée à Londres, au Olivier Theatre, dans une production du London's National Theatre Company, en décembre 1979. Paul Scofield (dans le rôle de Salieri) et Simon Callow (dans celui de Mozart) étaient de cette production originale, qui a valu à Paul Shaffer l'Evening Standard Drama Award et le Theatre Critics Award.

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La version new-yorkaise d'sAmadeus a été présentée à Broadwat à plus de 1000 reprises. Montée en 1980, elle mettait en vedette Ian McKellen dans le rôle de Salieri et Tim Curry dans celui de Mozart, et a valu à Peter Shafer le Tony Award de la meilleure pièce.

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En 1984, l'oeuvre est portée au grand écran par Milos Forman, en collaboration avec Peter Shaffer qui a écrit le scénario. Frank Murray Abraham et Tom Hulce défendaient les deux rôles principaux. Le film a alors été mis en nomination pour 53 prix et en a remporté 40, incluant huit Oscars (dont celui du meilleur film et du meilleur scénario.)

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En 2001, Peter Shaffer a été fait chevalier par la reine Elizabeth II. Il vit en alternance entre Londres et New York et poursuit son travail d'écriture.