Ce n'est qu'un hasard, mais la Renaissance a la cote ces temps-ci à l'Espace Go. Comme La grande machinerie du monde, créée en février par le PÀP, la nouvelle pièce d'Evelyne de la Chenelière, Les pieds des anges, interroge notre époque en revisitant le XVIe siècle. Toutes deux avec l'excellente Sophie Cadieux dans le rôle d'une étudiante fascinée par la peinture italienne.

Les correspondances s'arrêtent toutefois là. La belle machine du tandem Dubois-Labrecque s'est avérée mince sur le plan du propos. Le texte touffu et tissé serré d'Evelyne de la Chenelière donne au contraire l'occasion à Alice Ronfard de créer un spectacle dense, débordant de clins d'oeil inspirés et pertinents.

Les pieds des anges (ou De l'inquiétude existentielle à travers la représentation des anges, et de l'apparition de leurs pieds dans l'art de la Renaissance), c'est le titre de la thèse de doctorat défendue par Marie. Elle considère ce thème comme l'illustration parfaite d'une époque désireuse de mettre l'être humain au centre de tout. Même les anges, en les dotant de pieds, c'est-à-dire en les faisant à l'image de l'Homme.

Deux comédiennes jouent Marie: Enrica Boucher est celle qui défend sa thèse avec assurance; Sophie Cadieux est la femme mal dans sa peau qui se cache derrière un masque. Ce qui est au coeur de la pièce, c'est précisément «l'inquiétude existentielle» de cette jeune fille devenue «enfant-reine» après le suicide de son frère aîné. Elle ne comprend pas pourquoi on la trouve si extraordinaire et attend une «Révélation». Qui ne vient pas.

Mélancolie

De la Renaissance, Évelyne de la Chenelière a gardé une idée maîtresse: la naissance de la mélancolie. En devenant son principal sujet d'observation, l'homme a amélioré sa connaissance de soi (en témoignent ces références à la chirurgie), mais a aussi développé une insatisfaction chronique. Un mal-être qui a incité Paul (Erwin Weche) à mettre fin à ses jours et qui paralyse parfois Marie.

Tant le texte que la mise en scène tirent ce fil de manière absolument pertinente. La proposition n'est pas légère et Alice Ronfard n'a rien fait pour l'alléger. Le regard posé sur soi et les autres est interrogé sous tous les angles, à grand renfort d'images projetées sur fond de scène: notamment des tableaux de Giotto, la Marilyn de Warhol et des films montrant des corps humains nus et en mouvement.

Plaçant ce texte très dense au coeur du spectacle, la metteure en scène semble surtout avoir cherché à orchestrer les échanges entre les neuf comédiens qui campent en tout une vingtaine de personnages. Enrica Boucher défend sa Marie studieuse avec naturel. Sophie Cadieux impressionne en campant une Marie certes névrosée, mais touchante. Parmi tous les autres comédiens, on retient surtout Isabelle Roy, qui passe avec aisance de demi-soeur couveuse à mère inquiète.

Or, on en vient néanmoins à ressentir un trop-plein: trop d'informations, trop d'images, trop de mots qui finissent par étourdir. Tout est intimement lié aux thèmes de la pièce, certes, mais quelques bonnes idées auraient dû être sacrifiées au montage. Pour aérer. Comme l'histoire de cette femme voilée (Mireille Deyglun) qui demande à un peintre de faire son portrait afin d'être révélée à elle-même ou celle de ce figurant professionnel (André Robitaille) qui rêve de voir son scénario tourné par Scorsese. Des destins parallèles qui étoffent le propos, mais ne lui sont pas essentiels.

On ne ressort pas de Les pieds des anges ému ou ébloui, mais un peu assommé. Habité, aussi. Habité par des questions, des traits d'esprit et des images qu'on ressasse encore plusieurs jours après. Preuve que, malgré ses défauts et sa lourdeur, il s'agit là d'un spectacle d'une grande intelligence.

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Les pieds des anges, à Espace Go jusqu'au 25 avril.