Après ces quatre heures passées en compagnie de la chorale d'acteurs de Bob, la «création phare» des 40 ans du Théâtre d'Aujourd'hui, on se retrouve seul avec une kyrielle de questions. Et les yeux rougis, il faut bien l'avouer.

On retourne à nos vies, puisqu'il le faut, en recensant comme on le peut certaines phrases de René-Daniel Dubois. Des trucs comme: «J'ai l'impression d'avoir un don pour trouver extraordinaires des gens qui se haïssent à se passer la tête dans la souffleuse.»

 

Un texte dense, riche, polyphonique - RDD a commencé à l'écrire en 1991! - que René Richard Cyr s'est approprié avec doigté. Passé maître dans l'art de «chorégraphier» des ensembles d'acteurs (avec le théâtre de Serge Boucher), René Richard Cyr était bel et bien l'homme de la situation pour organiser un tel chaos.

Autour des deux protagonistes principaux Bob et Andy (Étienne Pilon et Benoît McGinnis), un choeur narre, intervient, observe de manière active et créative. Pilon, dans le rôle d'un jeune héros moderne prématurément écorché, beau, torturé, est d'un engagement total. Il me fait penser à Lothaire Bluteau, à ses débuts. À ses côtés, Benoît McGinnis est juste et bon dans la peau d'un amoureux habité jusqu'à la moelle par son amour et son désir impossibles. Un autre grand rôle qui s'ajoute à la feuille de route de celui qui ne finit plus de nous convaincre qu'il est le plus grand acteur de sa génération...

Une rencontre, donc. Entre deux êtres humains qui, par un sublime après-midi d'été, font connaissance à la suite d'une collision frontale à vélo. Bob est straight. Andy est gai. Pas grave. Leur complicité sera quand même magnétique, urgente, nécessaire. Parce qu'il est si rare, dans la vie, que l'on croise quelqu'un qui nous regarde comme un humain.

En filigrane, on suit le récit d'une autre rencontre improbable: celle entre Bob et Madame Fryers (Michelle Rossignol). La présence de cette dernière se matérialise surtout par des extraits vidéo. L'effet est étrange et provoque un certain décalage. À mon sens, il s'agit de l'aspect le plus faible de cette pièce. À l'écran, la parole de René-Daniel Dubois perd de son intensité. Et puis, il est difficile de croire en l'authenticité d'une histoire d'amour charnelle entre Bob et cette dame Fryers dont le raffinement d'un autre âge fait contraste avec le ton général de la pièce.

Un très beau plaidoyer

Mais revenons à toutes les questions que cette vaste pièce déclenche, puisque c'est là que se situe à mon avis la plus grande richesse de cette pièce. René-Daniel Dubois livre un très beau plaidoyer en faveur de la beauté, la bonté des êtres. Une parole qui se traduit de mille façons. Par l'émotion immense que l'on ressent en entendant la musique de l'autre. Par l'immense désir de vivre, qui s'exprime souvent de travers, mais qui nous oblige à ne jamais renoncer. Par le besoin de changer les choses. Par l'art. Par l'amour de l'autre. Et peut-être même par le théâtre.

Fuite de l'amour d'un homme gai qui jette son dévolu sur un amour impossible et hétéro? Fantasme d'un idéal suranné de ce qu'a été l'art, la réflexion, le théâtre? Manipulation jalouse de l'objet du désir (Bob) en ne lui autorisant de faire l'amour qu'avec une femme au bord du trépas? Désolée pour la psychologie à cinq sous, mais oui, ce sont là aussi quelques-unes des questions qui me trottent dans la tête, depuis jeudi soir.

Mais malgré cela, je reviens à Benoît McGinnis, pardon, à Andy. Et à cette foudroyante déclaration d'amour: «Je ne te dis rien, je ne te dis pas je t'aime.» Une phrase comme ça, dite de cette façon-là, ça laisse des traces. L'amour d'un humain pour son prochain n'aura jamais été aussi vrai qu'en l'absence de mots.

Moi, mon vrai héros, c'est Andy.

Bob, de René-Daniel Dubois, au Théâtre d'Aujourd'hui jusqu'au 30 novembre.