Christian Lapointe est un paradoxe ambulant. Ex-cracheur de feu et grand brûlé, il révélait dans sa pièce CHS une obsession pour l'embrasement. Il vit et crée à Québec, tout en reprochant à la Vieille Capitale son «manque d'horizon». Il dénonce les coupes du gouvernement Harper, mais refuse de joindre sa voix à celle des artistes qui descendent dans la rue. Avec Vu d'ici, il continue de faire du théâtre «in your face».

Le discours sur l'art de Christian Lapointe a quelque chose de suranné, tellement il est investi d'idéaux et d'absence de compromis. Et pourtant, il revendique son appartenance à une génération de jeunes trentenaires qui pensent qu'il est encore temps de faire quelque chose. Qui se désolent qu'en théâtre, le Québec traîne la patte, alors qu'en Europe, on n'a pas peur de déranger en montant Sarah Kane et Martin Crimp. Il en a marre du théâtre «pour les têtes blanches», est inspiré par les scènes londoniennes qui attirent les jeunes spectateurs.

 

«La différence entre un artiste et quelqu'un qui ne fait pas de l'art, c'est que l'artiste, il ne peut pas faire autrement. S'il n'a pas d'argent, il n'ira pas travailler dans un café. Il va empiler les dettes pour pourvoir créer», scande le jeune homme de théâtre dans un café du Plateau Mont-Royal.

Mardi prochain, il ouvre la saison du Théâtre La Chapelle avec une adaptation théâtrale de Vu d'ici, roman signé Mathieu Arsenault paru chez Triptyque en février. «Je dirais plutôt que c'est un recueil de slam», précise celui qui s'est fait donner carte blanche par Jack Udashkin, directeur artistique de La Chapelle. «Vu d'ici parle beaucoup du Québec de maintenant. C'est une capsule témoin de notre époque, et je trouvais urgent de dire cette parole.»

Séparé en plusieurs fragments («Nouvelles internationales», «Nouvelles continentales», «Nouvelles régionales», «Nouvelles locales»), le texte d'Arsenault prend sa lancée avec une citation d'Hubert Aquin: «Nous rêvons de nous abolir dans un coma apolitisé.»

L'Occident et son dépotoir

Vu d'ici, poursuit Christian Lapointe, est un portrait du Québec d'aujourd'hui qui est aussi le miroir de la débâcle du monde occidental. «La conclusion que je tire, c'est que l'Occident est une grande banlieue, dont le reste de la planète est le dépotoir.»

Lui-même se défend bien d'être un banlieusard comme les autres: il n'a pas de télé, pas de bagnole, consomme peu. Sauf que, reconnaît-il, lire Vu d'ici, c'est un peu comme parcourir le répertoire DSM des maladies mentales. Nous sommes tous un peu fêlés, chacun à notre façon.

«Même si tu manges bio, équitable, que tu es un écolo machin, tu finis toujours par être un miroir de ta société. Ce que Mathieu Arsenault a écrit n'est pas jojo. Son humour est décapant, jamais gratuit. En plus d'être très pertinent, son texte a une oralité qu'on retrouve peu chez nos auteurs de théâtre.»

Sur la scène de La Chapelle, il y aura des télévisions qui vont jouer live. Comme le texte d'Arsenault s'en prend à l'accumulation de biens matériels des Occidentaux, le spectacle recrée une ambiance de dépotoir. Mais plutôt que d'amonceler des déchets, Lapointe s'est tourné vers l'odorama pour recréer l'effet voulu. La technique utilisée reste d'ailleurs une surprise qu'il refuse de me dévoiler.

Par souci de cohérence avec son propos, Christian Lapointe a choisi de réaliser son projet sans subvention. «Je ne pouvais pas faire ce show et être taggé de drapeaux.» Il se montre d'ailleurs critique à l'égard des artistes qui sont descendus dans la rue pour dénoncer les coupes du gouvernement Harper dans la culture. «Ces artistes qui se lèvent parce qu'on leur a enlevé leur nanane ont pour la plupart des pratiques non politisées. Mais je me dis que ce n'est pas normal que, pendant cette mobilisation, on se mette à parler de l'Afghanistan. Ce sont les libéraux qui nous ont envoyés en guerre.»

Envers et contre tous, avec les moyens du bord, Christian Lapointe affirme qu'il vit les yeux grands ouverts, au risque de devenir de plus en plus aveugle, «parce que les images que tu vois sont tellement horribles». Il va peut-être changer en vieillissant. Mais en attendant, il revient toujours à essayer de comprendre la mort. Voilà son destin d'artiste et de survivant. «Ça change toute ta vie, d'être mort une fois.»