Harwan, étudiant en sociologie de l'imaginaire, prépare une thèse de doctorat sur Robert Lepage. Alors qu'il s'apprête à s'envoler vers Saint-Pétersbourg pour rencontrer son sujet de recherche, le père de Harwan subit un accident et tombe dans le coma. Harwan, c'est Wajdi Mouawad seul en scène, dans la pièce Seuls, qui arrive au Théâtre d'Aujourd'hui après avoir été créée à Chambéry et applaudie à Avignon.

Pile poil, avec une précision horlogère, Wajdi Mouawad me téléphone à 9h, comme il avait été convenu. Au bout du fil, je retrouve le ton timide et doux de celui qui a écrit que «l'enfance est un couteau planté dans la gorge».

Il se prête à l'exercice de l'entrevue avec son habituelle clarté, son grand souci du détail et de la cohérence. Il décrit avec une pointe d'humour un certain sentiment de panique qui s'est emparé de lui, lorsqu'il s'est retrouvé seul dans le local de répétition. Il évoque aussi la chance qu'il a eue de compter sur le soutien de sa soeur aînée, au moment où son élan créatif était au point mort.

Et alors que vous vous y attendez le moins, Wajdi narre en toute candeur l'intuition morbide qui a précédé la naissance de Seuls. «J'avais en tête une image qui ne me quittait pas: un fond de scène, avec une chaise et une corde qui pend du plafond. Seul en scène, j'expliquerais aux spectateurs que je vais monter sur la scène, la passer autour de mon cou et renverser la scène. J'ai calculé que je pourrais tenir ainsi 20 secondes. Je demanderais à un spectateur de monter sur la scène et de me rattraper. Si quelqu'un montait, je ferais la suite du spectacle avec lui.»

La quête et l'odyssée

Soyons rassurés: Mouawad a abandonné ses projets de non-suicide assisté, pour la création de Seuls, qui a vu le jour à Chambéry en mars dernier. Mais de cette idée de départ, il a conservé le besoin de parler du danger, de la peur et d'autres sentiments inquiétants. «La scène de pendaison n'existe plus, elle n'est pas importante. Ce qui en reste, c'est l'idée d'étranglement qui empêche le cri et la parole de sortir. Et un désir profond de silence.»

Plusieurs années après avoir eu l'idée du solo, il s'est retrouvé à Saint-Pétersbourg, où était jouée Forêt. Au musée de l'Ermitage, il s'est retrouvé devant le Retour du fils prodigue de Rembrandt. Subjugué par ce tableau, le propos de Seuls a alors pris forme dans son esprit. Et la figure de Robert Lepage s'est imposée.

«On m'a déjà fait remarquer que mes pièces parlaient d'un rapport de quête. Or, j'avais répondu que j'étais plutôt dans un rapport d'odyssée, c'est-à-dire que je suis celui qui, errant dans le monde, veut juste rentrer chez lui. Robert Lepage, lui, est dans un rapport de quête: ses personnages sont souvent des Québécois qui quittent le Québec pour découvrir le monde. Sans me comparer à Lepage, j'ai le sentiment que nous sommes sur une même route que nous arpentons de manière opposée.»

La version de Seuls que nous verrons à Montréal est d'une quarantaine de minutes plus courte que celle présentée à Chambéry. Wajdi Mouawad, qui ne craint pas de «faire long», a le sentiment que tout est désormais en place, dans le bon esprit, la bonne structure. «Ç'a été extrêmement fastidieux, mais totalement passionnant d'interroger chaque millimètre du spectacle, de le redécouper, le questionner, le changer», concède-t-il.

Après Montréal, Seuls prendra la scène du Théâtre français du CNA, où Wajdi Mouawad agit à titre de directeur artistique. Désormais installé en France, l'homme de théâtre se promènera aussi entre le Liban et le Québec à titre de conseiller artistique du Festival d'Avignon, «voir comment ces deux identités pourront se traduire dans la programmation».

En parallèle à tout cela, il y a aussi la création de Ciels, le prochain chapitre de sa Tétralogie de la mémoire. Et aussi, le projet d'un spectacle d'envergure qui serait joué en salle et à l'extérieur.

Seul et avec les autres, Wajdi poursuit son dessein de guerrier pacifique.

Seuls, de Wajdi Mouawad, du 9 septembre au 4 octobre au Théâtre d'Aujourd'hui