On pensait tout savoir sur L’Osstidcho, spectacle emblématique de la révolution culturelle québécoise. Jusqu’à L’Osstidquoi ? L’Osstidcho, documentaire qui embrasse la complexité et la profondeur de l’œuvre en insistant sur sa portée sociale.

L’impact de L’Osstidcho a été maintes fois décortiqué au fil des décennies, au point où on ne pensait plus pouvoir apprendre grand-chose de nouveau au sujet de ce spectacle mythique qui a brisé des tabous et contribué à faire entrer la culture québécoise dans la modernité. On a parlé de l’influence du rock californien sur Charlebois, du besoin de donner un coup de pied dans les bénitiers, de la soif de liberté qu’avaient les jeunes baby-boomers qui aspiraient à s’affranchir de l’éducation de leurs parents.

L’Osstidquoi ? L’Osstidcho, documentaire réalisé par Louis-Philippe Eno sur un scénario de Francis Legault, parvient cependant à poser un regard non pas neuf, mais plus complet sur le happening monté dans l’enthousiasme par Louise Forestier, Mouffe, Yvon Deschamps et Robert Charlebois au mois de mai 1968 au Quat’Sous avec la collaboration du Quatuor de jazz libre du Québec. La raison ? Sa création est ici éloquemment remise en contexte.

IMAGE TIRÉE DU FILM L’OSSTIDQUOI ? L’OSSTIDCHO

C’est dans L’Osstidcho qu’Yvon Deschamps a créé son monologue Les unions, qu’ossa donne.

Ce qui ressort, d’abord, c’est que même si L’Osstidcho demeure bien sûr lié à Charlebois – ses chansons en sont le legs le plus facilement accessible –, ce fut l’œuvre de quatre créateurs et interprètes.

Qu’il n’y avait pas qu’une communauté d’esprit entre eux, mais aussi une équité : deux femmes, deux hommes, dont les idées ont été mises à contribution.

Que ce spectacle n’a pas seulement marqué la naissance du Yvon Deschamps monologuiste, mais aussi de Louise Forestier comme autrice de chansons (Quand t’es pas là), comme le souligne la journaliste Marie-Christine Blais, l’une des nombreuses personnes invitées à éclairer ce choc culturel et son héritage.

Faire table rase

Au cœur du film, il y a d’abord ses quatre principaux artisans, tous de blanc vêtus (comme dans le spectacle) et tous vifs d’esprit, qui reviennent sans nostalgie sur leurs jeunes années et le désir qu’ils avaient de tout foutre en l’air. Oui, il y avait la forme éclatée du spectacle, l’envie de sortir du carcan de la chanson chansonnière (même Charlebois était sage à ses débuts), incarnée notamment par le free jazz et l’improvisation.

Le blanc des costumes ne faisait pas seulement référence à l’hostie avalée à la messe, mais aussi à cette envie forte de partir sur de nouvelles bases, sur une page blanche.

Ce qui rend le documentaire de Francis Legault et Louis-Philippe Eno si captivant, c’est toutefois le soin qu’il met à décortiquer la portée sociale de L’Osstidcho. Pour en prendre la mesure, il faut comprendre le Québec dans lequel ses créateurs avaient grandi : la grande noirceur de Duplessis, une société où les ouvriers travaillaient toute leur vie sans gagner assez pour assurer leurs vieux jours, un monde où l’arrivée de la pilule n’est pas juste un symbole de liberté olé olé, mais carrément de survie quand on a connu des femmes qui se sont fait avorter avec des aiguilles à tricoter…

IMAGE TIRÉE DU FILM L’OSSTIDQUOI ? L’OSSTIDCHO

L’esprit libre de Louise Forestier, toujours aussi vive et allumée, a nourri L’Osstidcho, spectacle dans lequel elle a aussi interprété pour la première fois une chanson de son cru, Quand t’es pas là.

L’Osstidcho n’était pas qu’un spectacle d’artistes désireux de rompre avec un establishment culturel, c’était celui de jeunes femmes et de jeunes hommes en rupture avec la vision du monde héritée de leurs parents. Les unions, qu’ossa donne prend une profondeur presque tragique lorsque Yvon Deschamps raconte que son grand-père s’est fait retourner à la maison à 65 ans avec une simple montre en cadeau après avoir travaillé sa vie durant dans une usine. Privé de salaire, il ne pouvait plus payer un loyer pour sa femme et lui, et ils ont dû se résoudre à aller vivre chez leurs enfants. Séparément…

C’est ce Québec-là que la jeunesse d’alors, représentée par les artisans du spectacle, rejetait. Une jeunesse bien sûr assez nombreuse pour se faire entendre – on parle de la génération du baby-boom, après tout – et assez éduquée et allumée pour voir ce qui se passait ailleurs.

L’Osstidcho ne s’est pas « autogénéré », souligne d’ailleurs le film, il s’inscrivait dans un mouvement mondial : mai 68 en France, la lutte contre la guerre du Viêtnam et pour les droits civiques des Afro-Américains aux États-Unis…

Ce n’est pas seulement « le Canada français qui ne veut plus être soumis », comme le souligne l’historien Éric Bédard, c’est le Québec qui se sent proche du rêve de Martin Luther King. Sa mort a été tout un choc, confirme d’ailleurs Yvon Deschamps à l’écran. « Qu’on tue quelqu’un parce qu’il veut faire avancer les choses et obtenir des droits pour la communauté noire, ça nous touchait profondément, dit-il. Comme s’il avait été notre frère. »

L’Osstidcho est décrit dans ce film comme un formidable élan, sans jamais verser dans le « c’était mieux avant ». Louise Forestier, dont le legs est souvent sous-estimé, regarde au contraire la société actuelle avec une empathie généreuse. « Peut-être que notre job à nous, les aînés, c’est de ne pas transporter le désespoir, dit-elle en guise de conclusion, mais d’inciter au courage. »

Dimanche, 20 h, à Télé-Québec