Ce que bien des détracteurs de U2 n’aiment pas du groupe tient souvent en un seul mot : Bono.

Son côté prêcheur leur déplaît. Sa grandiloquence les énerve. Son militantisme les agace. David Letterman le sait et affronte le chanteur dans Bono & The Edge : A Sort Of Homecoming : « Est-ce que tu les embarrasses ? », demande-t-il, parlant des autres membres de U2.

« Oui », répond le chanteur sans se défiler.

Son militantisme pour l’élimination de la dette des pays africains, notamment, l’a incité à travailler main dans la main avec des élus républicains auxquels les autres membres du groupe ne voulaient pas être associés. Il l’a fait quand même. Il en a même invité un à un concert, alors que The Edge lui-même l’avait prié de ne pas le faire.

« J’ai testé leur patience », reconnaît Bono, peu repentant, mais visiblement reconnaissant dans une séquence du documentaire qui sera offert vendredi sur Disney+.

Bono & The Edge : A Sort Of Homecoming, with David Letterman offre plusieurs saynètes de ce genre, où le chanteur et le guitariste se livrent avec candeur à l’animateur vedette. L’ancien roi américain des ondes (que Bono appelle « His Daveness ») n’est pas un faire-valoir ici. Ce film, croit-on d’abord, est sa quête dans les rues de Dublin. Puis, non, c’est un film sur U2… Le résultat est un documentaire d’une forme bâtarde, ponctué de confidences touchantes, mais qui ne sait pas toujours s’il raconte la quête esthétique d’un groupe ou celle d’un animateur en voyage qui veut quand même un peu faire le comique.

Un désir de transcendance

David Letterman fait le voyage en Irlande pour deux raisons : raconter les débuts du groupe et animer un concert à l’Ambassador Theatre de Dublin au cours duquel Bono et The Edge revisitent certaines de leurs chansons dans des versions acoustiques (parfois avec cordes et chœur). Bono voulait savoir si ces morceaux avaient une valeur « si on leur enlève la force de frappe d’un groupe rock comme U2 ».

IMAGE TIRÉE DU FILM BONO & THE EDGE : A SORT OF HOMECOMING, WITH DAVID LETTERMAN, FOURNIE PAR DISNEY

David Letterman (à droite) tire des confidences parfois touchantes de The Edge (à gauche) et de Bono (au centre).

Et puis ? Répondre à la question n’est pas l’objectif du film, qui montre quand même quelques belles séquences de ce spectacle. On pourra mieux en juger lors de la parution, vendredi, du disque Songs Of Surrender, qui regroupe ces nouvelles versions (mais peut-être pas les mêmes que celles du documentaire). Ce qui crève l’écran, cependant, est que s’il est possible de dépouiller certaines chansons de U2 de leur aura rock, il est plus difficile de sortir l’attitude rock de Bono…

Ce que David Letterman raconte, on l’a pour l’essentiel déjà entendu ou lu ailleurs. Mais pas de manière aussi directe. L’animateur revient notamment sur l’un des éléments essentiels de U2 : son désir de faire une musique qui, au-delà de la pop culture, a une résonance spirituelle. Ce n’est pas un détail : le groupe n’existerait plus depuis longtemps sans ça.

The Edge, rappelle le film, a vécu une crise existentielle au début des années 1980, se demandant comment conjuguer sa foi (il faisait partie d’un groupe charismatique chrétien, comme Bono et Larry Mullen fils) et ses envies de rock. Il est passé à un cheveu de tout laisser tomber. Or, il a eu une illumination : Sunday Bloody Sunday, hymne antimilitariste dont il a jeté les bases (paroles et musique) et qui l’a fait sentir en paix avec ses aspirations.

Bono & The Edge : A Sort Of Homecoming, with David Letterman ne creuse pas tout avec la même habileté.

Si le désir de connexion avec la foule, l’écriture des chansons et l’envie de transcendance sont bien abordés, sa tentative de lier l’évolution du groupe à celle des mentalités en Irlande est moins convaincante. On ne voit pas du tout le lien que le film suggère entre U2 et les avancées des droits pour les personnes LGBTQ+ en Irlande…

La force du documentaire, c’est d’arriver à tirer des confidences touchantes de Bono et de The Edge. Sans rien forcer. Oui, il y a eu des tensions au sein du groupe, admet le guitariste. Oui, Bono (et tous les autres) ont songé à quitter le navire à un moment ou à un autre. Mais ils tiennent. Ils se tiennent, en fait.

« On n’est pas en compétition les uns avec les autres », résume The Edge, pour expliquer cette amitié indéfectible, unique dans l’histoire du rock, qui s’est adaptée au fil des décennies. « Je mettrais ma vie dans ses mains, dit Bono, au sujet de The Edge. Je l’ai déjà fait. Et c’était le bon choix. »

Sur Disney+ dès vendredi

Bono & The Edge : A Sort Of Homecoming, with David Letterman

Documentaire

Bono & The Edge : A Sort Of Homecoming, with David Letterman

Morgan Neville

Bono et The Edge reçoivent David Letterman à Dublin pour des entretiens et un concert spécial au cours duquel ils remodèlent certaines chansons emblématiques de U2.

2 h 04

7/10