Québecor a ouvert grand ses coffres pour dépeindre la tragédie ferroviaire de Lac-Mégantic. Alexis Durand-Brault a même parlé d’un « risque financier énorme » mardi, au visionnement de presse du drame en huit épisodes, qui arrivera jeudi sur Club illico.

« Au Québec, on n’a pas souvent l’argent pour raconter nos histoires, a déclaré le producteur et réalisateur lors d’une table ronde ayant suivi la projection. Quand tu fais Mégantic, tu n’as pas le choix : il faut que tu y ailles à fond. »

Québecor Contenu refuse de dévoiler le moindre chiffre concernant sa plus récente offrande, mais son vice-président aux contenus originaux, Denis Dubois, a précisé qu’il s’agit d’« une des séries les plus chères de l’histoire du Club illico ». On devine que l’œuvre du scénariste Sylvain Guy (Confessions, Mafia inc.) figure au deuxième rang du palmarès des superproductions du service de vidéo sur demande, derrière La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé, la première télésérie de Xavier Dolan, qui avait aussi profité du soutien financier de Canal+ en France.

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Denis Dubois, vice-président aux contenus originaux chez Québecor Contenu

Québecor s’est « donné les moyens » de dépeindre le déraillement au petit écran. Le géant médiatique a notamment sollicité une commandite du Groupe Vidéotron. Du côté d’ALSO, la maison de production derrière Mégantic, on s’est tourné vers des acteurs moins connus du grand public pour faire des économies. « Il n’y a pas de grosse tête d’affiche, a déclaré Alexis Durand-Brault. Il n’y a pas de Guylaine Tremblay. »

L’argent a notamment servi à payer les effets visuels, nécessaires pour traduire l’ampleur du brasier, qui s’est emparé d’une quarantaine d’édifices au centre-ville de Lac-Mégantic en juillet 2013.

Sophie Lorain, qui dirige ALSO avec Alexis Durand-Brault, s’est rappelé avoir signé « un chèque assez onéreux » pour acheter une demi-douzaine de wagons pour reconstituer le déraillement du convoi. Une fois les séquences tournées, ces wagons ont été broyés et revendus en Chine, un pays friand d’acier brut, apparemment.

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Sophie Lorain et Alexis Durand-Brault

Sylvain Guy ne s’est jamais soucié du budget en écrivant Mégantic. Après avoir passé une semaine sur place et discuté avec une vingtaine de citoyens et proches des victimes, l’auteur savait qu’il devait pondre « une grande série ». « Il fallait montrer les explosions. »

Derrière l’explosion

Au-delà du spectaculaire accident, Mégantic montre comment la tragédie a chamboulé l’existence des habitants de l’endroit, chose qu’on n’a pas nécessairement « vue aux nouvelles », ont indiqué ses créateurs. Parmi les thèmes qui sont exploités, on retient l’amour, la santé mentale, la spiritualité et l’héroïsme.

Sylvain Guy, Sophie Lorain et Alexis Durand-Brault n’ont pas souhaité aborder en détail « l’aspect politique » du drame ferroviaire, qui impliquait la Montreal, Maine & Atlantic, la défunte compagnie de chemin de fer au cœur du désastre. Articulé autour du chef de train Tom Harding, rebaptisé Tim Richards pour l’occasion, le septième épisode reviendra toutefois sur l’enchaînement des évènements qui ont mené au déraillement.

Une série documentaire réalisée par Philippe Falardeau examinera la question en profondeur, nous informe-t-on.

Selon Denis Dubois, le Canada anglais s’apprêterait à mettre en chantier son propre projet de série sur la tragédie de Lac-Mégantic. Des plateformes américaines songeraient également à exploiter l’histoire.

Soulagement

Si Alexis Durand-Brault paraissait lessivé face aux journalistes, mardi au Cinéma Impérial, à Montréal, c’est parce qu’il avait assisté, la veille, à non pas un, mais deux visionnements publics de Mégantic… à Mégantic. Après avoir passé les deux dernières années à consulter les proches des victimes avant chaque décision (ou presque) concernant la série, le réalisateur et toute son équipe étaient particulièrement nerveux d’observer leurs réactions aux épisodes.

L’œuvre semble avoir reçu un accueil chaleureux des locaux qui s’étaient déplacés, d’où « l’énorme soulagement » ressenti par l’ensemble des artisans, 24 heures plus tard.

« Je suis encore très troublé et ému », a souligné Alexis Durand-Brault.

« On était extrêmement nerveux, a ajouté Sylvain Guy. C’était eux qu’on avait peur de décevoir. »

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L’auteur Sylvain Guy

« Pas sensationnaliste »

Les Méganticois que nous avons joints au téléphone confirment les dires des dirigeants de Québecor Contenu et d’ALSO : Mégantic a plu aux proches des victimes.

Nathalie Michaud a trouvé la série « très bien écrite et amenée », et surtout, « pas sensationnaliste ». Elle croit qu’elle permettra « aux gens de l’extérieur de mieux comprendre » ce qu’ont vécu les habitants de Lac-Mégantic durant et après l’accident.

Les personnes concernées n’ont pas toutes assisté aux visionnements de lundi. Pour différentes raisons, certaines ont préféré s’en éloigner, dont Karine Blanchette. À l’autre bout du fil, la Méganticoise a expliqué qu’elle avait regardé quelques épisodes, mais toute seule, pour éviter de « ressentir la charge des autres ». « Oui, ça nous ramène aux évènements tragiques de 2013, mais c’est d’une beauté et d’une finesse… Le scénario est exceptionnel. »

Ayant fortement inspiré un personnage de Mégantic, Karine Blanchette a pleuré à quelques reprises en regardant l’œuvre romancée. Mère d’une petite fille de deux ans et demi, elle qualifie la série de « beau legs ».

« Quand je ne serai plus ici, et que mes enfants et mes petits-enfants vont regarder les épisodes, ils vont voir que quelque chose d’important est arrivé. C’est important de laisser des traces. »