Il n’y aura plus de prix du meilleur premier rôle féminin et masculin aux prix Gémeaux. La cérémonie abandonne les divisions selon le sexe au profit de catégories non genrées.

Ce changement, qui concerne les trophées d’interprétation remis en télévision (premiers rôles et rôles de soutien), entrera en vigueur l’an prochain. Les catégories touchées pourront contenir jusqu’à huit finalistes chacune, pour « permettre à plus d’artistes, indépendamment de leur genre, de rayonner », justifie l’Académie – section Québec.

En d’autres termes, dans la catégorie du meilleur premier rôle dans une série dramatique, Evelyne Brochu pourrait affronter son partenaire dans Chouchou, Lévi Doré, de même qu’Éric Bruneau (Avant le crash) ou encore Patrick Hivon (La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé).

En entrevue, la directrice générale de l’Académie – section Québec, Mara Gourd-Mercado, indique qu’elle n’a reçu aucune revendication des principaux acteurs du milieu pour modifier les catégories. Elle estime toutefois qu’il s’agit d’une évolution « naturelle », non seulement parce qu’en médias numériques, les traditionnelles catégories homme-femme ont disparu l’an dernier, mais parce qu’un nombre croissant de cérémonies adoptent cette approche non genrée. On pense notamment aux Grammy (depuis 2012), aux MTV Video Music Awards (depuis 2017) ainsi qu’aux Brit Awards (depuis février).

En 2022, le rythme s’est accéléré et d’autres cérémonies ont annoncé leur « virage neutre » pour l’avenir, dont les Spirit Awards aux États-Unis et, plus proche d’ici, les prix Écrans canadiens.

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Mara Gourd-Mercado, directrice générale de l’Académie – section Québec

Les catégories en animation étaient déjà non genrées. Pour nous, c’était vraiment naturel de continuer dans cette mouvance. C’est dans l’air du temps, mais je n’ai pas l’impression que c’est juste une mode. C’est une chose dont on parle depuis plusieurs années vers laquelle on avance inexorablement.

Mara Gourd-Mercado, directrice générale de l’Académie – section Québec

Enthousiasme prudent

L’annonce de l’Académie a reçu un accueil favorable – mais prudent – du milieu culturel. D’une part, la présidente de l’Union des artistes, Sophie Prégent, salue l’esprit inclusif des nouvelles règles de l’Académie, qui permettront aux personnes non binaires de soumettre leur candidature sans être forcées de choisir un camp (homme-femme). D’autre part, elle craint un déséquilibre.

« Dans cinq ans, est-ce qu’on va se rendre compte que quatre fois sur cinq, ce sont des hommes qui raflent ces trophées ? Je ne dis pas que c’est ce qui va arriver, mais c’est une préoccupation qu’on a. On n’a pas envie de régresser ; on veut avancer. Je suis présidente d’un syndicat d’interprètes. Je vais être contente si tous nos membres réussissent à rayonner et que cette histoire permet d’ouvrir un peu les esprits. »

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Sophie Prégent, présidente de l’Union des artistes

Sur Twitter, le coauteur des séries Mirador et Ruptures, Daniel Thibault, a initialement salué la mesure, soulignant qu’en culture, il n’existe aucune raison logique de « discriminer les performances des acteurs et actrices », contrairement aux sports, où l’on doit séparer les hommes des femmes pour respecter leurs différences physiologiques. Mais lorsque nous l’avons contacté, sa position avait quelque peu changé. La parité sera-t-elle respectée ? Advenant une sélection à sens unique, à quel genre de tollé aura-t-on droit ?

S’il y a une majorité de femmes ou d’hommes qui remportent des trophées lors d’une année donnée ou quelques années de suite, les gens vont chialer. Plus j’y pense, plus c’est une canne de vers.

Daniel Thibault, coauteur des séries Mirador et Ruptures

Cette perspective ne semble pas inquiéter l’Académie québécoise, qui s’appuie sur l’expérience des prix Écrans canadiens, lesquels décernent des prix non genrés en médias numériques depuis trois ans. « Ça s’équilibre de manière naturelle, affirme Mara Gourd-Mercado. De plus, ce sont les gens de l’industrie qui composent les grands jurys, qui déterminent les finalistes dans chaque catégorie. On leur fait confiance. »

Pour l’heure, l’Académie n’imposera aucun quota minimum hommes-femmes au sein des catégories d’interprétation. Cette conception pourrait toutefois changer, en fonction des résultats, précise Mara Gourd-Mercado.

L’ADISQ ne bouge pas

La décision des Gémeaux fera-t-elle bouger l’ADISQ, qui continue de remettre des Félix distincts pour l’interprète féminine et l’interprète masculin de l’année ? Dans un courriel envoyé à La Presse, la productrice exécutive et directrice des galas de l’ADISQ, Julie Gariépy, révèle que l’organisation, qui révise actuellement sa réglementation, a décidé de maintenir cette scission « pour l’instant ». La parité au sein de l’industrie musicale serait « encore bien fragile ». « Le temps n’est pas encore venu de retirer cinq nominations prestigieuses aux femmes en musique », affirme Julie Gariépy.

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Julie Gariépy, productrice exécutive et directrice des galas de l’ADISQ

Quant aux Olivier, le dernier gala subsistant au Québec, les catégories genrées n’ont jamais existé.

Moins de trophées

L’abolition des catégories genrées aux Gémeaux s’inscrit dans une mise à jour des règlements de l’évènement, qui abaisseront le nombre total de trophées à 88, comparativement aux 139 remis en septembre dernier.

Cette refonte découle d’une réflexion entamée en 2021 et vise à redorer le blason du rendez-vous annuel, à qui l’on reproche souvent de diluer la sauce à force de remettre des statuettes dorées à tout le monde. « Ce qu’on veut pour les prix Gémeaux, c’est que ça ait une valeur, insiste Mara Gourd-Mercado. Quand tu reçois un prix, tu dois sentir que c’est une reconnaissance de l’excellence. Et avec le nombre de prix qui étaient remis, on avait un peu moins cette perception. »

Parmi les autres ajustements apportés, signalons l’augmentation du seuil minimum d’inscriptions pour qu’une catégorie soit conservée, qui passe de trois à cinq. Fans de STAT et d’Indéfendable, n’ayez crainte : l’affrontement au sommet pourra avoir lieu, puisqu’on continuera d’exiger seulement deux inscriptions pour ramener la catégorie des séries dramatiques quotidiennes.

Et pour les catégories Meilleure série dramatique annuelle et Meilleure série dramatique quotidienne exclusivement, les productions devront avoir été diffusées à la télé pour être admissibles. Cette altération au règlement survient trois mois après que Nous, une série seulement offerte sur Club illico jusqu’à aujourd’hui, eut été sacrée meilleure série dramatique annuelle devant District 31, suscitant l’incompréhension chez de nombreux téléspectateurs.