Avec sa série La plus belle province, le documentariste Guillaume Sylvestre pose un regard parfois caustique sur des communautés et des symboles québécois. Il s’autorise même un épisode sur les Français de Montréal en empruntant les codes du documentaire animalier…

Il y a quelques années, Guillaume Sylvestre a signé un documentaire sur un camping de multimillionnaires québécois en Floride. Le prix du paradis misait sur une narration neutre de Denys Arcand et la musique de Mozart qui, par effet de contraste, soulignaient subtilement ce qu’il y avait de, disons, « particulier » dans cet environnement. « On s’est dit [mon producteur et moi] qu’il y avait quelque chose à faire sur le Québec avec ce genre de traitement », explique-t-il.

Ce « quelque chose » revient sous la forme d’une série documentaire en quatre épisodes intitulée La plus belle province, diffusée sur la plateforme Vrai, qui pose un regard parfois décalé sur le Québec. « L’idée est d’entrer dans différents univers et de regarder sous la jupe de notre société, dans des microcosmes qui peuvent aussi bien être à côté de chez nous comme les Français du Plateau-Mont-Royal que l’Aluminerie Alouette de Sept-Îles pour créer une espèce de constellation de ce qu’est le Québec d’aujourd’hui », explique le réalisateur.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Le réalisateur Guillaume Sylvestre propose la série documentaire La plus belle province.

Les découvertes se font à travers les images, les entrevues et la narration toujours neutre, mais parfois caustique, de Denys Arcand, qui dit par moments ce que le film ne dit pas autrement. Que l’un des rares divertissements qui restent à Shefferville, par exemple, est de « rouler en pick-up vers nulle part ». Ou que les produits de l’Aluminerie Alouette se retrouvent autant dans les Tesla et les canettes de bière que dans les emballages de biscuits véganes.

Des mondes méconnus

Ce qu’on découvre, surtout, ce sont des univers insoupçonnés. L’aluminerie de Sept-Îles au cœur du premier épisode est un monde en lui-même peuplé de travailleurs enthousiastes non syndiqués (« Ils sont quasiment plus fiers de travailler chez Alouette que d’être Québécois », observe le réalisateur) et de machinerie gigantesque dont le ballet est montré à l’écran sur fond de musique classique. Le suivant porte sur Shefferville, une ancienne ville minière qui vivote à la frontière du Labrador grâce à l’opiniâtreté des Innus.

On explore le petit village nordique notamment à travers les yeux de deux Québécois « du Sud » partis travailler là pour quelques mois et qui racontent leur intégration pas toujours facile. « Le temps passe et ça devient très émouvant », juge le réalisateur. Il pense notamment à une scène où une femme autochtone dit à son amie qu’elle a des cheveux de Blancs — c’est-à-dire plus fins que ceux des Innus. « Ce n’est plus une histoire d’Autochtones et de Blancs, c’est celle de deux jeunes femmes qui rigolent ensemble et sont devenues très amies, dit Guillaume Sylvestre. Je trouvais ça beau même si le cadre de Shefferville peut être rude au premier abord. »

Un « documentaire animalier »

Les deux autres épisodes de la série s’intéressent à la Beauce (à ses personnages d’entrepreneurs multimillionnaires comme à ses esprits libertariens) et aux Français de Montréal. Cet épisode s’annonce comme le plus grinçant de la série.

On a traité ce film comme si on suivait des lions au fil des saisons dans la savane. On suit donc le Français de Montréal qui découvre son environnement et prend racine au Québec.

Guillaume Sylvestre, réalisateur

Conscient qu’il a poussé un peu dans cet épisode, il se justifie en disant « qui aime bien châtie bien ». « Il ne faut pas généraliser, mais ils ont une image du Québec tellement idéalisée : les grands espaces, les gens sont gentils, etc. Et ils parlent de la France comme s’ils venaient de quitter le Yémen, estime Guillaume Sylvestre. À travers leurs yeux, on se voit tellement idéalisés que ça devient Walt Disney. Et après quelques années, ils sont déçus, les lunettes roses commencent à changer de couleur. »

Que ce soit dans cet épisode où dans les autres, le réalisateur insiste pour dire qu’il n’est jamais là « pour rire du monde ». On perçoit parfois son sourire en coin, mais on ne sent pas de jugement dans son regard, du moins dans les deux épisodes qu’on a pu voir. « Je ne suis pas là pour rire de personne, mais s’il y a quelqu’un qui rit de lui-même ou qui dépasse la ligne au point où ça devient ridicule ou absurde, je ne vais pas me gêner pour le mettre à l’écran, dit encore Guillaume Sylvestre. Mais je n’en rajoute pas une couche quand la scène parle d’elle-même. »

La plus belle province, dès mardi sur la plateforme Vrai